dimanche 4 mars 2018

La terreur féministe


Bonjour tous,
Ca fait longtemps je sais...
Aujourd'hui, je reviens à chaud parce que je viens de m'engueuler avec des gens sur Facebook à propos d'une pétition relayée par Emma appelant à l'interdiction d'un bouquin sur la puberté adressé aux jeunes adolescentes et que j'en suis encore toute retournée.

Rappel des faits ici.

J'ai relayé la pétition, Gigi a relayé la pétition, et on a été très nombreuses à le faire. Pour faire réagir. Pour faire parler. Parce qu'on est choquées et qu'on veut que ça se sache. Parce qu'on a été sidérées de voir une chose pareille, parce que ça nous a profondément désespérées de voir que des gens étaient encore capables aujourd'hui de publier un bouquin où ils disent aux jeunes adolescentes que leurs tout petits tétons c'est moche (!) mais que heureusement ça va grossir (!) et que c'est cool parce que comme ça elle pourront attirer les garçons (!) et que si jamais elles ont des petits seins elles peuvent se tenir très droites pour les mettre en valeur (!) et que c'est pas grave, les petits seins c'est attirant aussi (parce que les seins c'est fait pour attirer les mecs, point barre, c'est bien connu)(!), et aussi qu'avec la puberté elles vont avoir l'impression de grossir (horreur et damnation)(!) mais qu'en fait c'est juste leurs hanches qui s'élargissent (ouf)(!), bref un bouquin où ils disent aux adolescentes que là à la puberté elles vont être un peu moches mais que c'est pour la bonne cause : après elles deviendront de vraies bonnasses qui pourront plaire aux hommes (enfin surtout si elles sont minces à gros seins, donc) et piquer le rouge à lèvres et les talons de leur mère, youpi !
On est très nombreuses à être montées au créneau. Parce qu'à lui seul ce petit bouquin résume tellement bien tant de choses. Et oui, le fait d'appeler à l'interdiction du livre pouvait interpeller, poser question, mais honnêtement le faire vraiment interdire c'était le cadet de nos soucis, nous on voulait avant tout le dénoncer, qu'il soit boycotté, qu'il fasse un four, qu'il ne soit jamais réédité et que ses éditeurs et auteurs subissent la honte et l'opprobre parce que putain, sérieusement, quoi. 

Citons une copine pour résumer : "Je sais pas mais je vois pas de bouquin pour petit garçon qui disent de bien mettre en valeur son pénis sous son slim pour s'attirer les sympathies des jeunes filles".

Donc toutes les deux, avec Gigi, on a relayé la pétition sur Facebook. Parce que comme toute nana normalement constituée, ce sont des sujets qui nous touchent. Moi en particulier parce que comme chacun sait je suis une dangereuse féministe enragée, et Gigi notamment parce qu'elle est enceinte et commence à sérieusement penser aux messages sur les relations hommes-femmes qui vont influencer son enfant dès son plus jeune âge. 
Oui, c'est un sujet qui nous touche. Toutes. Et on en a marre. Alors on s'est dit "cool, une occasion de dénoncer un de ces milliards de discours soi-disant anodins mais puissamment sexistes qui peuplent notre société : si on saisit cette nouvelle occasion d'éveiller les consciences peut-être qu'avec le temps ça se fera moins facilement de publier ce genre de truc, peut-être que les gens tiqueront en voyant ces discours auxquels ils sont pourtant tellement habitués que ça ne les choque plus...".

Bref. Jusque là tout allait bien. Jusqu'à ce que tombe le premier commentaire. Et là c'est nous qui avons subi la honte et l'opprobre.
Le premier commentaire nous accusait tout de go de liberticide. (Oui, j'utilise "liberticide" comme un nom, comme on dirait "féminicide"). 
On venait de dire que le message véhiculé par le livre était "sidérant", l'homme qui a commenté (respectivement notre frère et cousin, ce qui ne facilite pas les choses) nous a répondu que ce qu'il trouvait sidérant c'était cette société de plus en plus totalitaire où les "censeurs 2.0", ces "pasteurs de l'orthodoxie de la bien-pensance" se permettaient de bafouer la liberté d'expression au nom de ce qu'il leur semblait ou non "moral", commentaire qui a été immédiatement liké par un pote à lui. 
Gigi lui a répondu que non, on ne peut pas publier tout ce qu'on veut, que ce que ce livre contient est grave et que c'est important de se mobiliser pour dire que c'est lamentable. Et ce même si au terme de la polémique il n'est pas interdit, parce que ce n'est pas le but premier. J'ai renchéri en disant que ça faisait franchement chier que le seul commentaire qu'on reçoive en publiant cette pétition c'était ça : un commentaire qui nous accuse de censure et retourne le truc en deux deux en mettant en faute les féministes à l'origine de la pétition tout en balayant d'un revers de la main avec bonne conscience et satisfaction le fond du problème, celui du contenu de ce livre et ce qu'il révèle sur la société d'aujourd'hui. 
Extrait du tout premier message de notre premier détracteur : "Le réflexe est de réclamer son interdiction telle une foule obscure qui réclame des têtes à mettre sur ses pics, le sang à la commissure des lèvres? (je n'invente rien).

Donc ça, c'est nous. 
(A moins que - attendez maintenant que j'y pense - à moins que ce ne soit un peu eux ?)


On s'est fait traiter "de passionaria 2.0 de la 25ème heure" (mépris bonjour) qui "s'indignent comme elles se lavent les dents", à la rhétorique totalitaire, qui lancent une fatwa numérique sur un livre sans l'avoir lu. Une fatwa. Rien que ça. Féministes et islamistes, même combat. D'ailleurs vous imaginez bien qu'avec Gigi on prévoyait justement d'aller fusiller les gens dans cette fameuse maison d'édition en criant "Vagina Power". Et puis "sans l'avoir lu", donc sans savoir, parce qu'apparemment les pages relayées par Emma ne suffisaient pas pour s'indigner. On serait donc des cruchasses qui appellent à la mise à mort de la première personne venue en un click juste parce qu'on a entendu une rumeur et qu'on aime bien appeler sans réfléchir à la mise à mort dès qu'on entend que quelqu'un a dit du mal des femmes. Ben ouais, on est des petites cervelles en colère : dangereuses parce que véhémentes tout en étant ni très malines ni très informées.
Gigi : Putain je suis pas une féministe extrême et dieu sait si j'aime les hommes mais là il devrait la fermer...
Le simple fait qu'elle se soit sentie obligée de me dire, en privé, qu'elle n'était pas une féministe extrême et qu'elle aimait les hommes montre à quel point cette attaque faite aux féministes est constante, si constante que nous-mêmes l'avons intégrée. Les féministes militantes seraient trop "extrêmes", elles "détesteraient les hommes" et seraient des enragées haineuses qui se laissent aveugler par leurs affects et leur désir de vengeance, appelant sans réfléchir aux conséquences à des actions radicales qui menacent le bien commun... Donc si une femme veut tenir un propos un tant soit peu féministe et avoir une chance d'être entendue et prise au sérieux, elle doit d'abord au préalable dire qu'elle n'est pas vraiment féministe (ou si peu, enfin une féministe modérée, quoi, pas comme les autres, là... vous savez, ces fameuses "malades mentales qui veulent mettre tous les hommes qui essayent de les séduire en prison")(hum). Parce que sinon, bien sûr, elle sera vite relayée parmi celles-ci, et fin de la discussion. Pratique. 

Ca m'a rendue folle. Folle qu'on réduise immédiatement au silence notre dénonciation en détournant le problème. Que le reste du débat soit utilisé à prouver que non, nous n'étions pas des folles assoiffées de sang qui appelaient à la dictature.
Un mec est venu à notre secours en répondant à notre détracteur : "Ce qui est dénoncé ici [dans la pétition, donc], c’est quelque chose de sournois et de constant dans notre société. J’ai vu ce bouquin précis d’abord dénoncé sur un groupe féministe. Puis repris par la bd blogueuse Emma et maintenant en pétition ici et là (trois amies fb, toutes des femmes évidemment). Les mécanismes de la domination masculine sont sournois, comme le montre cet innocent livre pour jeune fille. Si le bouquin écrivait que l’imagerie passée de Banania était un excellent modèle pour les jeunes enfants noirs en démontrant point par point que 1) être souriant en toute circonstance était une super manière de se faire accepter par ses petits amis blancs, 2) porter un fez permettait d’affirmer son identité de manière conforme à sa nouvelle patrie d’adoption, 3) garder toujours des dents bien blanches était une condition sine qua non de faire valoir ce sourire qui rappelons-le doit être constant, je pense que tu serais le premier à t’indigner (peut-être pas à partager, ok) et que tu ne te permettrais surtout pas de venir dire quoi que ce soit à tes amis noirs sur leur fil Facebook sur ce sur quoi ils devraient ou non s’indigner. Je sais de mon côté que pas mal de mes amis noirs (j’en ai pas tant que ça...) m’accuseraient alors de tone policing".
Une autre fille a réagi :  "Au-delà des propos abjects du bouquin, quand tu lis les commentaires contre "la moralisation ambiante" et qui regrettent "l'interdiction d'interdire", il s'agit quasi exclusivement de commentaires masculins, régulièrement assortis de "mal baisées", "aucun humour", etc.. Ce qui me rend folle, c'est l'hypocrisie de ces gardiens de la liberté, hommes blancs pas du tout concernés par les atteintes, remarques, vexations et autres que subissent le reste de la population. C'est cool de hurler à l'atteinte aux libertés dès qu'il s'agit de sexisme, de vitesse au volant, etc... C'était tellement mieux avant quand personne ne s'offusquait des photos de David Hamilton, que Woody Allen pouvait épouser sa fille peinard sans que personne ne lève un sourcil, qu'on laissait la liberté aux Enfants de Dieu de découvrir la sexualité dès leur plus jeune âge. Je suis allée lire les commentaires sur le site de l'Obs, c'est à gerber de sexisme (pas machisme, sexisme, comme dans racisme) sous couvert de fausse indignation face à cette atteinte aux libertés. Je me suis rarement sentie aussi attaquée en tant que femme".
Pourtant rien n'y a fait. On nous a répondu (pas au mec, hein, à moi personnellement quand j'ai eu le malheur de reprendre ses propos plus loin dans le débat parce qu'ils n'avaient apparemment pas été entendus) que la comparaison entre le sexisme et le racisme était "nulle" et "honteuse". On nous a dit que le livre avait certes l'air "nul" et "débile" (ou comment dédramatiser la gravité du truc en deux mots) mais qu'on avait le droit de dire des conneries. On nous a accusé de vouloir interdire la publication des écrits de Sade. On nous a demandé si d'après nous il fallait aussi interdire Mein Kempf (Point Godwin atteint). On nous a accusé de vouloir faire passer ceux qui n'étaient pas d'accord avec nous pour des "suppôts de Satan". On a dit qu'on donnait raison à la tribune de Catherine Deneuve et consort. Bref, on a tenté de nous humilier, de nous discréditer, de nous faire passer pour des cruches hystériques. 
Quand j'ai dit que leurs réactions me rappelaient ce dont parlait Titiou Lecoq dans son article sur le fait que le mouvement #metoo n'allait nulle part, précisément parce que tant de personnes l'attaquaient et le discréditaient en prétendant qu'il allait trop loin, un mec m'a répondu qu'il était lamentable de ma part d'oser utiliser ainsi la "réelle souffrance de femmes violées qui portent plainte" et que mon propos était indigne (?!). 
Une fille : "Interdire est certainement idiot, mais faire de ce torchon le symbole de la liberté d'expression, au lieu de le condamner de manière univoque, c'est une manière de fermer le débat sur la manière dont on éduque les filles. Encore une fois".
Notre premier détracteur a fini par dire au bout d'un long moment qu'il n'avait pas insisté sur sa réprobation du torchon parce qu'elle "allait de soi". Ben non. Elle ne va pas de soi. Si les toutes premières choses que tu dis sur le sujet c'est que c'est crétin, liberticide, anti-démocratique et dangereux de la part des féministes de vouloir condamner un livre dont le seul défaut est d'après toi d'être "nul" et "débile" et qu'elles te rappellent une foule obscure la bave au lèvres qui réclame des têtes sur des pics, il n'est pas évident au premier abord que tu es scandalisé par l'image des femmes que le livre véhicule. Il semble au contraire plutôt que tu désapprouves l'action des féministes.
Et ça me renvoie à ce que disait Titiou Lecoq à propos de tous ces gens qui disent que "le mouvement #Metoo c'est bien, MAIS". 
Je comprends l'indignation des femmes face à ce livre "nul" et "débile", MAIS. 
Mais pas comme ça. Mais ça va trop loin. Mais c'est pas si grave. Mais tu te trompes de combat. Mais tu bafoues la liberté d'expression. Mais tu veux mettre en place une dictature. Mais tu te discrédites toi-même parce que tu ne t'es pas assez informée, tu ne sais pas de quoi tu parles. Mais tu te laisses porter par tes émotions au lieu de réfléchir. Mais. Mais. Mais. 
Et du coup on balaye le problème. On ne parle pas du sexisme, on parle des tares des féministes qui desservent le féminisme et tadah, tour de magie, on a feinté le sujet. 
En bref : Oui, mais non, et ta gueule.  

On a laissé tomber. Ils étaient plusieurs, ils s'auto-likaient, se tapaient dans le dos, se galvanisaient les uns les autres. On était fatiguées, on a dit stop, on arrête les frais, ça ne sert à rien, vous refusez de comprendre et on en a marre de se faire agresser. On n'a pas avancé. On n'a rien démontré. On a juste renoncé à faire valoir notre point de vue et ils ont eu le dernier mot. On était frustrées et en colère. Ce qui explique pourquoi j'ai besoin d'en parler.

Et pour finir, un petit fleuron de condescendance et de paternalisme :
"Vous êtes en colère? C’est parfaitement compréhensible. Et pourtant cela doit être épuisant d’être en colère dès qu’un idiot sort une énormité raciste, sexiste, homophobe, gérontophobe,… Autant s’économiser et choisir en intelligence et efficacité ses batailles. La colère qui vous anime peut très bien s'exprimer en soutien à des associations féministes (puisque c’est le sujet du jour). Vous pouvez les aider financièrement, militer à leur coté, aider à mettre en place un procédure judiciaire contre l’objet de votre colère..." 
Comprendre : Tu fais une colère, petite ? Oui c'est vrai, les filles c'est émotif, elles sont facilement bouleversées et s'indignent au moindre truc, mais là ton combat tu l'as mal choisi - parce que tu ne sais pas bien ce qui mérite que tu t'énerves, tu es un peu sotte comme ça - et puis surtout dire que tu es indignée là comme ça sur Facebook fillette ça ne sert à rien - non seulement ta colère est illégitime mais en plus tu l'exprimes mal, dis donc -, donc arrête de nous bassiner avec des trucs sans importance et si tu y tiens vraiment va donner de l'argent à des gens qui veulent gueuler comme toi ou bien va gueuler avec eux. Mais ailleurs, merci. 
Bref, ce n'est pas qu'on ne veut pas soutenir la cause des femmes, hein. C'est juste qu'elles ne militent pas pour les bonnes choses et qu'en plus elles le font mal. C'est pour ça qu'on ne peut pas les soutenir, vous comprenez. C'est quand même pas de notre faute !
Ma réponse : oui, c'est en effet "épuisant" de devoir débattre et en prendre plein la gueule dès qu'un combat féministe est attaqué, dès que quelqu'un dit un truc sexiste et qu'on veut le dénoncer. Mais c'est aussi ça, militer "au côté" des féministes : c'est s'engueuler avec son père, son frère, son cousin, ses amis sur des questions de sexisme. Même si ça fait mal. Et même si ça fait d'autant plus mal que souvent on a l'impression qu'en plus ça ne sert à rien. 



Et à propos de tous ces hommes, nos compagnons, nos frères, nos cousins, nos collègues, qui sont persuadés qu'ils n'ont rien à se reprocher et que rien de tout cela ne les concerne, qui n'imaginent pas que leurs actions ou les propos qu'ils tiennent puissent faire souffrir les femmes de leur entourage, leurs proches et les autres, je conseille la lecture de cet article, que j'ai trouvé très bien.