vendredi 13 novembre 2020

Vis ma vie de retraitée 2

 

Confinement numéro 2. Retour en Bretagne, en bord de mer, à écouter les vagues et les oiseaux avec mon amoureux qui télétravaille. Je suis la dépressive la plus heureuse du monde. 

Du coup je recommence à jardiner, mais cette fois-ci avec une salopette de pêcheur en ciré jaune XL par dessus mes vêtements, parce qu'il pleut souvent, que le sol est mouillé, et aussi soyons honnête parce que c'est la classe et que ça amplifie indéniablement mon sex appeal.

Donc ma vie, en ce moment, c'est quoi ? (En dehors d'une vie sexuelle boostée par la salopette cirée, s'entend). Ben disons le tout de go, c'est woman versus wild, hein. Il m'arrive des trucs de dingue, quoi. Voyez seulement : 

- Je plante des violettes, des pervenches, des fougères, des liriopes... Voilà. Truc de dingue.

- En jardinant, j'ai été piquée par des moustiques. Méchamment piquée. Genre j'ai eu mal. Et je me suis retrouvée avec le cul constellé de piqûres rouges et boursouflées, parce que ce jour-là je n'avais pas ma salopette de pêcheur et que du coup quand je jardinais j'avais la raie du plombier. Oui, je suis au top de ma désirabilité. La raie du plombier, la salopette cirée, le cul boursouflé, tout ça. Sans compter les vieux joggings en polaire tâchés de vieilles trainées de peinture et les bottes en caoutchouc qui font puer des pieds. 
Oui parce que voyez vous quand je suis loin de Paris (où j'ai régulièrement des sursauts de je-suis-habillée-comme-une-pouilleuse-ça-ne-peut-plus-durer-il-faut-agir et où je fonce m'acheter des fringues certes d'occasion mais un peu trendy parce que je veux être une belle gosse bien sapée comme les autres), quand je suis loin de Paris donc, je me laisse souvent aller à mon amour inconditionnel pour le vêtement-serpillère, ce grand pull informe et tout pelucheux dans lequel tu peux t'emmitoufler, jardiner, dormir, aller à la boulangerie en charentaises, bref la vie quoi. 
Ici, en Bretagne, donc, je fais peu de crises de mocheté (oui, j'appelle ça "faire une crise de mocheté"), ce qui peut sembler paradoxal vu mon apparence, mais voilà : je vis avec trois joggings, quelques vieux pulls, des chaussures de rando, de la terre dans les cheveux, de la crème à la cortisone sur le cul pour calmer les démangeaisons, et je suis bien. (Et Thomas est toujours amoureux. Allez comprendre). 

 Meet the roitelet triple bandeau

- J'ai une nouvelle passion pour les oiseaux. Je les observe dans le jardin avec des jumelles et ensuite je me rue sur internet pour essayer de trouver ce que c'était comme oiseau, et ça me met dans un état d'euphorie et d'excitation assez surréel. Le plaisir de voir des petits roitelets à triple bandeaux dans l'arbre devant la fenêtre de la cuisine le matin en buvant mon café est étrangement intense. Faut dire que c'est suprêmement chou, un roitelet à triple bandeaux, avec ses 9cm et sa bande orange à la Capitaine Flamme sur la tête (en anglais, ça s'appelle un Firecrest ou Crête de Feu). 

Je me renseigne sur les oiseaux, donc, et j'apprends plein de trucs. Entre autre que bran veut dire corneille ou corvidé en breton, ou en gallois, et que c'est donc évidemment pour cette raison que Bran s'appelle Bran dans Game of Thrones. 
(Oui parce que je me renseigne un peu aussi sur le breton. Saviez vous que le car- de Cardiff avait la même racine que le ker de, euh, ker en breton ? Et que le plou de Plougastel et autres villes bretonnes était le plou de plouc (un plouc, au départ, c'est un paysan breton) et aussi le même plou que dans plough, qui veut dire charrue en anglais ? Je trouve ça passionnant. Mais bref, revenons-en aux oiseaux). 

J'ai aussi appris que les rouges-gorges, qui ont le plastron plutôt orange, s'appellent des rouges-gorges parce qu'ils ont été nommés au Moyen-Age, et que la couleur orange n'est apparue dans la langue française qu'au seizième siècle, avec l'arrivée des oranges douces ramenées de Ceylan et de Chine par les Portugais. 

Quoi d'autre ? Ah oui, la mésange charbonnière (j'en ai vu une ce matin, j'étais ravie) n'est pas seulement très jolie, elle est aussi le seul oiseau à utiliser des outils : elles utilisent des épines de pin pour chopper des larves. Ces petites malines. 
En Angleterre, dans les années 20, à Londres, à l'époque où ils déposaient encore des bouteilles de lait devant la porte des gens, les mésanges charbonnières ont même trouvé un moyen de décapsuler les bouteilles avec leur bec pour boire du lait, capacité qui s'est vite répandue dans tout le pays, si bien que les ornithologues ont parlé "d'apprentissage culturel". J'adore. L'intelligence animale, ça me fascine.
Bon, ensuite les mésanges charbonnières sont aussi capables d'aller trouver des chauve-souris qui hibernent tranquilou pour leur défoncer le crâne avec leur bec et bouffer leur cerveau, ce qui est moins mignon, je vous l'accorde. Mais bon. 
(C'est un peu comme pour Nala, cet être remarquable - oui - et d'une mignonnerie à toute épreuve, qui est par ailleurs capable de se bouloter des petites musaraignes inoffensives au petit museau à moustaches : c'est sûr que c'est perturbant. Ce n'est pourtant pas faute de lui avoir expliqué qu'il ne fallait pas tuer les animaux soi-même et qu'il serait beaucoup plus acceptable de sa part de faire buter les musaraignes à grande échelle par d'autres chats dans des abattoirs pour ensuite aller s'en procurer sous plastique : mais rien n'y fait, elle ne veut rien entendre). 
Et allez, un petit dernier pour la route : saviez vous qu'il y avait chez les mésanges charbonnières une sorte d'héritage des terres de génération en génération, avec des enfants qui restent nicher sur le territoire de leurs parents ? 
Par contre ça doit poser des problèmes d'organisation entre frères et soeurs. Pensez vous qu'il y a des notaires-mésanges-charbonnières ? Qu'ils ne refilent les territoires qu'aux aînés mâles ? Que les cadets doivent rentrer dans les ordres ? Je ne sais pas. Je vais essayer de trouver des réponses avec mes jumelles, je vous tiens au courant.

C'est marrant, je me souviens que jeune ado j'avais un peu de pitié pour ma grand mère : je me disais qu'elle devait vachement s'ennuyer à regarder des documentaires sur l'Antartique ou le Vanuatou toute la journée (alors qu'il ne tenait qu'à elle de regarder Sauvez par le Gong, pourtant : incompréhensible). Aujourd'hui, je suis ma grand-mère...

Bref, voilà pour les oiseaux. C'était mon petit quart d'heure Professeur Rollin. De rien. 


Il faut peut-être que je me lance un petit tumblr Professeur Rollin, où tous les jours je publierais une info du genre "ce sont les papas hippocampes qui portent les bébés" ou "les cachalots dorment debout". Je suis preneuse de toute anecdote "le saviez-vous?" en commentaire, à ce propos.

- Je continue mon retour à la terre. En fait je suis un peu Blaise dans Le Tracas de Blaise (voir illustration en début de post). Vous n'avez pas lu Le Tracas de Blaise ? C'est fabuleux. C'est un livre pour enfant. C'est l'histoire d'un homme qui vit une vie de merde au boulot et qui en réaction se change tous les jours un peu plus en ours avant d'aller se barrer vivre tranquilou dans la forêt. 
Je m'identifie vachement. 
(Même si je ne pourrai jamais plus vraiment revenir à l'état sauvage, rapport à l'épilation définitive, tout ça. Même que quand ce sera la mode et que toutes les parisiennes arboreront leurs jolis poils aux pattes en terrasse alors que j'aurai les jambes toutes glabres, eh ben je ferai des crises de mocheté, du coup). 
Il faut dire que j'ai une belle famille qui invite à ça (à revenir à la nature, je veux dire, pas à faire des crises de mocheté). 
C'est drôle comme on peut changer de vie en changeant de conjoint (à moins que ce ne soit moi qui n'aie pas de personnalité, ce qui est possible aussi) : avec Gentleman Joe j'allais à des spectacles de danse au Théâtre de la Ville et à des concerts de musique conceptuelle à Beaubourg ; avec Tom Pouce je vais aux champignons et aux châtaignes. Et je vais ramasser des pommes et des coings et des prunes dans le verger de sa grand-mère dans le fin fond du Perche, et je fais des compotes et des confitures à ne plus savoir qu'en faire. 
Sa grand mère, qui a grandi à la ferme dans les années 40, connaît les champignons par coeur et a régulièrement des lièvres morts dans son congélateur et des cuisses entières de sanglier dans son frigo (le tout apporté par les chasseurs du coin : elle en fait du pâté, ils en récupèrent une partie, c'est donnant donnant). Mon dieu, quand on y pense, cette petite dame si mignonne (j'adore la grand-mère de Thomas) qui dépèce des lièvres, c'est un peu comme Nala qui bouffe des musaraignes, en fait. 
Bref, tout ça pour dire que : je mange des trucs que j'ai cueillis ou ramassés, je fais sécher des feuilles de verveine citronnelle du jardin, tout ça, et certes ensuite je bois ma tisane maison devant Netflix ou Vinted, mais bon, avouez, c'est quand même un peu la symbiose avec la Pacha Mama, quoi. Je suis complètement devenue la-femme-qui-murmurait-à l'oreille-des-plantes. Genre je casse des branches et je les replante dans des pots, je les arrose, et ça fait de nouveaux plants : dingo, non ? Eh ouais, baby. Je multiplie les plantes comme d'autres multipliaient les pains. 

- Sinon, je dors. Je regarde des films. Je lis. Je fais l'autruche. J'essaye d'oublier qu'en vrai ça va pas. Parce que bon, en vrai, on ne va pas se mentir, ça ne va pas complètement bien. Mais bon, ça va de mieux en mieux. Vraiment. Et ça, si vous me passez l'expression, c'est assez top. 

mardi 20 octobre 2020

Martine casse l'ambiance (ou le féminisme pour les nuls)

 


(Cette image vient de la page Facebook de Mauvaise Compagnie, la marque d'Anaïs Bourdet, qui avait créé le tumblr Paye ta Shneck avant d'abandonner après ce qu'on appelle un burn out militant.)


Aujourd'hui je ne vais pas beaucoup parler (même si en fait si), je vais surtout vous envoyer vers des liens que ça me ferait vachement vachement plaisir que vous regardiez/lisiez/écoutiez. (Attention ce post s'adresse aux gens qui ne sont pas à la page sur le combat féministe et les études de genre, donc si vous êtes déjà fan de Victoire Tuaillon je ne vais rien vous apprendre ici). 

Aujourd'hui, donc, je voudrais vous parler de féminisme. Mais je ne vais pas vraiment prendre la parole par moi-même (même si en fait si) parce que je ne saurais même pas par où commencer, parce que l'ampleur des choses que j'ai à dire est inconcevable et que beaucoup de gens ont dit ce que j'avais à dire beaucoup mieux que moi.

Oui parce que j'ai beau croire à la force et à l'importance du témoignage individuel et subjectif pour dévoiler des mécanismes ou des phénomènes plus généraux et collectifs, là je ne saurais même pas par où commencer pour raconter toutes mes expériences personnelles révélant les problèmes liés au sexisme, comment il m'a façonnée, comment j'en ai souffert, et à quel point je le retrouve, encore aujourd'hui, un peu partout. Je ne saurais pas comment expliquer tout ce que j'ai compris dans le courant de ma vie, et surtout ces dernières années.

Car je n'ai pas toujours été féministe, voyez-vous. Ayant grandi dans un univers où régnait (et où règne encore) un bon vieux sexisme ordinaire qui ne dit pas son nom, le féminisme a longtemps été complètement absent de mon univers mental, ou quelque chose de vaguement ridicule dont il fallait se démarquer à tout prix, et ce essentiellement pour se conserver l'amour des hommes, ceux précisément dont l'amour m'importait. Enfant, adolescente, adulte, j'ai tenu des propos sexistes sans le savoir, encouragé des idées et des comportements sexistes sans le savoir, souffert du sexisme sans le savoir. Puis j'ai commencé à m'intéresser au sujet, à m'instruire, à lire, à écouter, à en parler, et j'ai compris tellement, tellement de choses. Il ne fait aucun doute d'ailleurs que certaines choses que j'ai pu écrire ici ces dernières années me feraient vachement tiquer aujourd'hui.


 

Dans ma famille de profs, on a toujours dit "On ne peut pas savoir quelque chose avant de l'avoir appris". Et je pense évidemment qu'il est absolument essentiel que l'ensemble de la population, hommes et femmes, se sensibilisent au sujet du féminisme si on veut que les choses avancent. 

Mais je ne veux pas avoir à éduquer qui que ce soit. Je n'ai pas la force, pas le courage. (J'ai d'ailleurs arrêté d'enseigner. Je n'en peux plus de me battre).

Souvent j'aimerais que les gens fassent un minimum de travail sur eux pour essayer d'analyser pourquoi ils ont en eux ce rejet instinctif du débat féministe, majoritairement les hommes mais pas seulement. Qu'est ce que c'est ce sentiment en eux qui les braquent, qui leur donne envie de dénigrer sans écouter, ce sentiment inconscient tellement ancré en eux et qui prouve que le combat féministe a encore du pain sur la planche.

C'est dur de constater que des gens de mon entourage peuvent balayer quelque chose d'aussi essentiel d'un revers de la main condescendant, de constater qu'une remarque féministe met beaucoup de gens beaucoup plus mal à l'aise et les met beaucoup plus sur la défensive qu'une remarque sexiste, que beaucoup de gens sont réticents à soutenir le féminisme, réticents à dénoncer le sexisme, et donc perpétuent, et de ce fait encouragent le statu quo par paresse, par confort, mais sans vouloir l'entendre. J'ai écouté récemment un podcast fabuleux intitulé Ou peut-être une nuit sur l'inceste en France, et sur le silence qui l'entoure, où il est dit que le vrai tabou, il semblerait que ça n'est pas tant l'acte pédocriminel en lui-même que le fait d'en parler ; n'est ce pas un peu pareil pour le sexisme ? Et si le vrai tabou ce n'était pas tant le sexisme, mais plutôt le fait de le dénoncer ouvertement ? 

J'en suis à un point où je ne parle même plus de féminisme avec un public non acquis, ou bien de façon homéopathique, et ce pour me protéger. Je me ménage. Je ne dis plus rien, je ravale ce que j'ai à dire, je laisse passer, je m'écrase. Je ne pars plus à l'assaut de la montagne avec mes petites mains. Je me dis que je vais me faire du mal pour rien. Que c'est vain. Que mieux vaut laisser passer cette réflexion sexiste ou ce cliché dangereux sur le viol, par exemple, plutôt que de "casser l'ambiance" et de me faire du mal en affrontant la réaction des gens, qui très vraisemblablement ne changeront pas de toute façon. Et puis je sais me tenir en société et je sais qu'on n'impose pas un sujet à table quand personne ne souhaite en parler. Mais vous avouerez que c'est un problème car parler de féminisme avec un public non acquis, c'est ça qui semble important, et que personne n'a jamais fait avancer une cause en en débattant dans sa tête. Mais bon, pour l'instant je me contente de parler de féminisme avec des féministes, et c'est déjà pas mal, ça me permet déjà de vachement avancer dans ma réflexion. Sauf que c'est très bien que les féministes connaissent leur sujet sur le bout des doigts, mais encore faudrait-il que des gens non renseignés sur le sujet profitent de leur travail.

Donc l'idée, c'est qu'ici, je vais publier des liens, pour permettre aux personnes qui auront envie de cliquer de s'informer. Parce que c'est tellement passionnant d'analyser et de comprendre ces mécanismes qui régissent tous les aspects de notre société depuis des siècles, c'est tellement passionnant d'analyser les rapports hommes-femmes, les rapports des femmes à elles-mêmes et entre elles, les rapports des hommes à eux-mêmes et entre eux, les rapports de domination dans les divers aspects de la société, les rôles dévolus et la hiérarchisation des sexes au travail, à la maison, au lit, auprès des enfants, les représentations dans la langue, l'art, dans les médias, à travers les âges, les cultures, dans la sphère privée, dans la sphère publique... C'est tellement riche, tellement foisonnant, il y a tant de choses à dire, tant à apprendre. Et il arrive souvent que je dise un truc qui me semble aujourd'hui tellement évident et que des gens, pas hostiles cette fois-ci, me disent "ah tiens, j'y avais jamais pensé".

C'est un sujet d'études, en fait. Ca s'appelle les études de genre et c'est un champ de recherche pluridisciplinaire qui étudie les rapports sociaux entre les sexes. (Wikipédia à la rescousse : "Le genre est considéré comme une construction sociale et est analysé dans tous les domaines des sciences humaines et sociales : histoire, sociologie, anthropologie, psychologie et psychanalyse, économie, sciences politiques, géographie..."). En tant que prof, je tombe souvent sur des collègues qui me disent, atterrés, à propos des élèves : "Tu te rends compte, ils ne savent même pas que... ?!" et à qui je suis obligée de répondre que moi non plus, je ne sais pas de quoi ils parlent. Parce que quand on a étudié l'histoire ou le théâtre, par exemple, pendant des années à la fac, on oublie que ce qui est évident pour nous ne l'est pas pour ceux qui n'ont pas le même sujet d'expertise. (Les profs ont aussi tendance à oublier qu'avant de l'étudier, eux non plus ne savaient pas toutes ces choses). Et donc les gens qui n'ont pas étudié tout ça croient avoir une idée de ce qu'est le féminisme mais sont en fait complètement à la ramasse sur le sujet, parce que c'est un véritable sujet d'études, et qu'il n'y a pas de raison qu'ils sachent de façon instinctive des trucs que les féministes ont compris en s'informant longuement, de façon active et passionnée.

Alors pour tous les gens qui ne sont pas hostiles au féminisme (et j'ose espérer que peu de mes lecteurs et lectrices sont hostiles au féminisme) mais qui n'y connaissent pas grand chose, je vais publier des trucs qui vont vous permettre de vous faire un petit crash course (enfin de quelques heures, quand même, hein, si vous faites ça bien). Une sorte de compile "Best of feminism 2018-2020" (parce que je vais rester sur du récent).

Et pour rentrer dans le sujet je voudrais partager avec vous cette intervention de Félix Radu qui a fait bondir les féministes, alors que tant de gens ont aimé et partagé sa vidéo (elle a été partagée 150 000 fois). Parce que tant de gens non-sensibilisés à la question n'ont pas vu tous les mécanismes à l'oeuvre, ont vu une vidéo féministe quand ce mec, pourtant paraît-il sympathique et malin par ailleurs, réalise en réalité en quelques minutes un bon bingo sexiste sous couvert de bienveillance. Et je suis convaincue qu'il pensait réellement bien faire. Sauf qu'il a voulu prendre la parole sur le féminisme sans prendre le temps au préalable de se renseigner correctement sur la question, comme s'il suffisait d'y consacrer dix minutes pour maîtriser le sujet et éviter les écueils. 

 

Et je pense qu'apprendre à voir en quoi cette vidéo qui se déclare féministe est en fait problématique est important pour apprendre à déconstruire plein de choses. Il y a eu d'excellents droits de réponse, par vidéo ou par écrit, que je vous envoie également juste après. 

La vidéo de Félix Radu : Lettre à ma petite soeur (rha la la, ses trémolos dans la voix, ça me donne envie de hurler). (C'est en gris clair, ça veut dire que c'est un lien et qu'il faut cliquer dessus ! C'est la deuxième vidéo qui apparaît sur la page). 



  

La réponse de Camille et Justine. Fantastique. Je ne m'en lasse pas. 

L'article Ces amis qui veulent du bien au féminisme (avec la vidéo d'Adeline Dieudonné à la fin)

L'article D'où les mecs seraient nos meilleurs alliés ? (bon, là je vous préviens elle est véhémente,  elle le défonce, c'est moins consensuel que celui d'avant, elle ne prend pas de pincettes pour faire de la pédagogie, clairement elle s'en fout de "desservir sa cause" en passant pour une "hystérique radicale" -ce qu'évidemment beaucoup vont s'empresser de dire- parce qu'elle est juste super vénère. Je n'aurais probablement jamais écrit un texte pareil parce que je me censure : j'ai bien intériorisé tout ce qu'on reproche aux féministes, je sais qu'il faut être trèèès nuancée et douce et calme et pédagogue et irréprochable pour faire passer son message sans être discréditée d'office (ce qui est épuisant)(Moi : "En tant que féministe, si t'es pas irréprochable, t'es discréditée", Thomas : "Si t'es irréprochable aussi...")(Lui on l'écoute, cela-dit, quand il parle de féminisme ; c'est assez dingue d'ailleurs, comme les réactions sont différentes si c'est lui, un homme, qui parle). Bref elle est vénère et ça se sent mais franchement c'est assez cathartique et jubilatoire à lire pour une féministe, parce que Félix Radu on a un peu envie de se le payer, parce que ça revient à se payer tout ce qu'il représente. Et attention elle ne fait pas que déverser sa colère : elle dit des trucs très bien. Je sais juste que certains n'écouteront pas parce qu'ils ne passeront pas outre la colère). 

(A un moment elle l'imite en disant "je vais quand même pas ouvrir Google tout seul, je sais même pas quoi taper. Pi j’ai des messages à délivrer moi ici, j’suis busy-busy au boulot, j’te raconte même pas. Toi c’est ton oppression, donc bon, j’sais pas, file-moi tes résumés" : ça m'a fait rire parce que moi ici c'est un peu ce que je m'apprête à faire : vous filer mes résumés).

Et la réponse vidéo d'Axel Lattuada (le mec de 'Et tout le monde s'en fout' et notamment de cet épisode sur le sexisme ordinaire au travail)

 

Alex Lattuada, donc. Car non, il n'y a pas que des femmes pour parler de féminisme intelligemment, dénoncer le sexisme et tenter d'analyser et de déconstruire les valeurs sexistes qui régissent notre société, thank God. (Et il y a aussi beaucoup de femmes pour dire des conneries grosses comme elles sur le sexisme, on le sait tous). Il y a quelques mecs qui prennent la parole spécifiquement pour tenir des propos pro-féministes (et qui, je l'ai entendu dire et l'envisage volontiers, sont plus facilement écoutables pour des mecs pas hyper chauds pour écouter des discours féministes).  

Il y a aussi l'humoriste Laurent Sciamma, le frère de Céline Sciamma, et son fantastique spectacle Bonhomme, qui se donne encore aujourd'hui au Café de la Gare à Paris et que je ne peux que vous encourager à aller voir. Il y a Guillaume Meurice, qui a fait de très nombreuses chroniques pour dénoncer le sexisme, comme celui là encore l'autre jour. Il y a Thomas Messias et son excellent podcast Mansplaining (déjà 47 excellents épisodes à ce jour, quand même !), dans lequel il questionne la masculinité, notamment sa représentation au cinéma. (Allez écouter Mansplaining). Il y en a aussi certainement d'autres que je ne connais pas. Il y a cet article, #Moi aussi...coupable d'Emmanuel Zemmour sur le blog de Médiapart que j'avais déjà publié et qui m'avait plu. Et puis il y a des mecs comme Martin Page, que je connais moins bien, mais qui est notamment l'auteur de Au delà de la pénétration. Mais je ne vais pas m'attarder car il est question de son livre dans un épisode de Les Couilles sur La Table, qui consacre également un épisode au livre de Francis Dupuy-Déris, La crise de la masculinité - Autopsie d'un mythe tenace, un autre homme, donc.

En effet, la toute première chose que je ne peux que vous encourager à faire, c'est d'écouter les différents épisodes de Les Couilles sur La Table. Dans chaque épisode, Victoire Tuaillon reçoit un invité, une fois Martin Page pour parler de son livre (cité juste au dessus), une fois Francis Dupuy-Déris pour parler du sien (idem), une fois Laurent Sciamma, une fois le sociologue Jean-Claude Kauffman pour son livre Pas Envie ce Soir et la question du consentement dans le couple, une fois la merveilleuse Titiou Lecoq sur son livre Libérées - Le Combat Féministe se gagne devant le panier de linge sale, une autre fois Aurélia Blanc pour parler de son livre sur l'éducation des petits garçons, Tu seras un homme féministe, mon fils. C'est passionnant, abordable, agréable à écouter, et ça traite de plein de sujets essentiels en en tirant la substantifique moelle. Donc si je n'avais qu'un podcast à vous conseiller, c'est celui là. A écouter dans le métro ou en voiture en allant bosser, en partant en vacances, en faisant son jogging, en faisant la vaisselle, en faisant à bouffer... (croyez-en mon expérience, écouter des podcasts passionnants rend le fait de ranger son appart' beaucoup moins pénible !). 

Si jamais le podcast Les Couilles sur la Table vous a plu, je peux évidemment vous en conseiller d'autres très bien, (même si je mets Les Couilles sur le Table au sommet), comme :

Un podcast à soi (le titre fait référence à l'essai de Virginia Woolf intitulé Une Chambre à Soi - A Room of One's Own - publié en 1929 et qui a joué un rôle important dans l'histoire du féminisme). 

Quoi de Meuf (où il est notamment beaucoup question de féminisme et de pop culture -la série 'Mrs America', la série 'Fleabag', la série 'I May Destroy You', la série 'The L Word', le film 'Les Filles du Dotceur March', le livre "Dans la forêt'... -, de la représentation des hommes et des femmes et de leurs rapports et de leurs expériences dans ces oeuvres, de comment elles servent ou desservent le combat féministe, et autres). (Je profite d'en avoir parlé pour vous conseiller les séries 'Unbelievable' et 'I May Destroy You' qui parlent de viol de façon magistrale - et ce n'est pas un sujet secondaire, c'est LE sujet de ces deux séries, merci à elles).

Il y en a plein d'autres, que je connais plus ou moins bien voire que je n'ai jamais écoutés (Modern Love de Nadia Daam, La Poudre, Ovaires et Contre Tout...). (Je suis preneuse de tout nouveau conseil de podcast, à ce sujet !).

Je peux aussi vous conseiller cette vidéo d'une conférence passionnante et drôle de la linguiste Laélia Véron intitulée Langue, Genre et Domination. A propos de l'écriture inclusive, de la féminisation des noms de métiers, etc. Drôle, passionnant, magistral. #LaéliaVéronForever.

Autre article d'utilité publique il me semble (il y en a tant), l'article de la grande Maïa Mazaurette : La misère sexuelle, un argument si pratique.

Ah, et je ne peux m'empêcher de vous envoyer le lien vers ce podcast partagé il y a des mois par Titiou Lecoq et que j'aime d'amour : Tout de suite les grands mots. Un petit bijou.

Je peux aussi vous conseiller la BD d'Emma sur la charge mentale, Fallait demander, évidemment, mais vous connaissez évidemment déjà aussi, c'était difficile de passer à côté je crois.

Mais bon, je ne vais pas vous en donner davantage, je risque de vous décourager. Je ne vous conseille pas (prétérition) les divers livres de Mona Chollet (Beauté Fatale, Sorcières, Chez Soi...), Jouir - En quête de l'Orgasme Féminin de Sarah Barmak, La Culture du Viol à la Française de Valérie Rey-Robert (auteur du blog féministe Crêpe Georgette), Rage Against the Machisme de l'historienne Mathilde Larrère, Baiser après #metoo ; lettres à nos amants foireux d'Ovidie, King Kong Theory de Virginie Despentes évidemment, les BDs de Liv Strömquist et autres, ils demanderaient beaucoup plus de temps à lire et sont -pour certains en tout cas- moins abordables que les podcasts, articles et vidéos ci-dessus. Et puis c'est sans fin : il y a tant de livres, tant d'articles, tant de podcasts, tant de documentaires. Bref, tout ça pour dire qu'il y a beaucoup beaucoup de choses qui ont été dites et écrites (et encore je ne cite que les très récentes) et que si jamais cet univers vous est inconnu, je trouverais ça merveilleux que vous fassiez l'effort de vous y intéresser en allant écouter quelques épisodes de Les Couilles sur la Table, par exemple, qui permettent quand même de se sensibiliser à plein de sujets de façon agréable et efficace.

Et autre chose : les seules personnes que je connaisse à avoir lu ces livres, à avoir écouté ces podcasts sont des femmes. A quelques rares exceptions près, et encore les mecs que je connais qui les écoutent les écoutent parce que leur compagne les leur fait écouter. Je connais aussi beaucoup de femmes qui ne bitent rien au féminisme, et sont plutôt même moins féministes que certains mecs que je connais, mais ça ne change rien au fait que les seuls personnes que je connaisse qui écoutent d'eux-mêmes ces podcasts et ont lu ces livres sont des femmes. Or, les mecs, si vous êtes du genre à dire que c'est un combat qui concerne tout le monde, que "not all men", si vous dites être un allié des femmes (et j'ose espérer que mes lecteurs se disent alliés des femmes) alors soyez de vrais alliés, informez vous pour de bon, impliquez vous pour de vrai, même si vous avez peur d'entendre des trucs désagréables qui sous-entendent que plusieurs fois vous avez mal pensé et mal agi. (Et je vous préviens, si moi-même j'ai été sexiste sans le savoir à l'adolescence et encore au delà, les chances que vous y ayez échappé sont nulles).

Un petit pas de votre part, un grand pas pour le combat pour l'égalité des sexes. (Et non pas pour votre teub, blague que comprendront ceux qui ont vu Bonhomme) (quoique ça peut aussi être un grand pas pour votre teub, parce que je peux vous assurer que beaucoup de féministes ont bien envie de faire l'amour avec Laurent Sciamma et Axel Lattuada - mais c'est peut-être juste parce qu'ils sont super sexys).

De mon côté, moi qui reprochais aux hommes de ne pas se renseigner sur le féminisme parce qu'ils ne se sentaient pas directement concernés, j'ai réalisé que de mon côté j'écoutais Les Couilles sur La Table mais jamais Kiffe ta Race, autre excellent podcast de Binge Audio présenté par Grace Ly et Rokhaya Diallo, et ce justement parce que je me sentais moins concernée, parce que je suis blanche, et donc je m'y suis mise. Et là aussi, c'est passionnant. Donc voilà. Je pose ça là.

Bref, j'ai l'impression d'enfoncer des portes ouvertes avec ce post, et de pontifier, et que des gens vont me lire en se disant "oui merci ça va je sais ce que sont les études de genre, meuf, tu t'es pris pour qui ?", (quand je parle de féminisme j'anticipe à l'avance tout ce qu'on va me reprocher et ça me donne presque envie d'abandonner, honnêtement), mais je sais aussi que ce ne sont pas des portes ouvertes pour tout le monde, et que beaucoup de proches à moi que j'aime beaucoup apprendraient beaucoup de choses en lisant ce post (enfin en cliquant sur les liens, sinon ça sert pas à grand chose), alors si je peux ici atteindre quelques personnes, rien que quelques personnes non initiées qui du coup repenseront certaines de leurs idées, certains de leurs comportements, certains de leurs arguments, et amèneront certains de leurs proches à faire de même, eh ben youpi. Et sinon, ben, j'aurai essayé et d'autres feront mieux que moi. Font mieux que moi. Heureusement, quand moi j'ai pas le courage, quand moi je tombe, une amie sort de l'ombre à ma place ^^ Comme le disait Titiou, nous sommes légion.








mardi 11 août 2020

Vis ma vie de retraitée

 "A quarante ans c'est pas qu'on a plus de passions. Non, non. C'est juste qu'elles ont changé, quoi. Moi par exemple j'adore les plaids" (Florence Foresti)



J'ai toujours su que j'étais une retraitée dans l'âme. Ca ne s'est pas arrangé avec l'âge, et mon arrêt longue maladie allié au confinement ont achevé de réveiller la retraitée qui sommeillait en moi. 
Car voilà : comme tous les pourris de privilégiés qui ont une maison de famille loin de la ville, j'ai quitté Paris dès l'annonce du confinement (qui devait prendre effet le lendemain à midi) et je suis partie avec Tom Pouce me terrer à Tara, où on n'a presque pas quitté le jardin pendant deux mois, comme si l'air de l'autre côté du portail était radioactif. 
Et c'est là qu'a commencé mon expérience de la retraite. 
Je savais déjà que j'aimais me coucher tôt et boire des tisanes, tout ça, et que j'avais un penchant coupable pour le jardinage, mais là, on est vraiment passés au level supérieur. 
J'avais déjà découvert Plantnet (une appli fantastique qui te donne immédiatement le nom de toutes les plantes que tu prends en photo) mais jamais je ne l'avais utilisé de façon aussi compulsive. J'ai littéralement passé des heures sur la pelouse de mon jardin à shazamer les mauvaises herbes. Maintenant je suis incollable en gaillet gratteron, géranium robert, fumeterre des murailles et autres plantains lancéolés. Je me suis même renseignée sur les recettes qu'on pouvait faire avec (la plupart de ces trucs se bouffent), au cas où il y aurait une subite pénurie alimentaire et où on finirait par se retrouver entre survivants à bouffer des racines. (Je venais de voir Dans la Forêt, j'étais en mode "effondrement", j'étais prête à toutes les éventualités). Eh bien permettez moi de vous apprendre que le plantain lancéolé donne un petit goût de champignon aux omelettes. Voilà. You heard it first. (Bayane, reporter toujours au coeur de l'action).
Le temps que je ne passais pas à étudier les plantes et les coléoptères comme un naturaliste du 19ème siècle en safari papillons, je le passais sur internet à me renseigner sur la bouture de lavande, le purin de prêle, la taille du lilas et les étapes de la vie du hanneton, notamment sur des groupes Facebook de jardinage où - grande violence des réseaux sociaux oblige - ça s'engueule ferme, à coup de multiples points d'exclamations véhéments (#ensauvagement), pour savoir si la plante sur la photo est une azalée ou une pivoine.  
J'ai aussi joué au TP de chimie de seconde en faisant des tests de sédimentation avec la terre, de l'eau et du vinaigre pour savoir si elle était plutôt sableuse, argileuse, acide ou calcaire. 
Bref c'était wild
Je peux devenue étrangement calée en jardinage, du coup. je sais nommer à peu près toutes les fleurs que je vois et je vous soigne une cloque du pêcher en moins de deux. Pas sûre que j'aurais utilisé ça comme atout séduction sur un profil Tinder mais bon, Tom est déjà amoureux (#astuce) et n'était pas réfractaire à ce retour à la nature, loin s'en faut.
Lui, pendant ce temps là, se laissait pousser les cheveux et la barbe à la Jeremiah Johnson (je pense qu'on aurait pu faire un petit remake convaincant de "Seul au monde" - avec moi dans le rôle du ballon) et, en chemise de bûcheron à carreaux rouge et noir, élaguait des arbres hauts comme la maison avant de les couper en bois de chauffage.
Bref, c'était l'amour est dans le jardin. 
 
 
Quand je n'étais pas au jardin ou sur internet à me renseigner sur la larve de cétoine ou la cloque du pêcher, je cousais des masques et des housses de coussin avec de vieilles nappes de ma grand mère en regardant Les petits meurtres d'Agatha Christie (même si franchement, ça ne vaut pas un bon vieil Hercule Poirot avec David Suchet) ou bien je faisais des mots croisés. 
Du coup, je me sentais un peu comme dans un centre de repos avec des ateliers poterie entre deux promenades dans le parc, mais honnêtement je vivais un peu ma meilleure vie. 
 
 
En même temps je n'ai jamais été à la pointe du rock'n'roll, hein.
Je me souviens de ce jour, lors d'un concert privé dans un bar, où Gigi m'a dit en riant que j'étais la fille la moins branchouille qu'elle connaisse. (Je venais de lui dire que le mec en mettait du temps, à s'accorder, quand même... alors que le concert avait commencé) (#oups). 
 
D'ailleurs, Facebook ne s'y est pas trompé et me proposait récemment d'aller assister au concert des Plates, un groupe qui se revendique peu rock'n'roll et dont le motto est "moins de bière, plus de tisane; moins de nuits blanches, plus de dimanche", bref, la famille quoi. 
 
(Pourtant il n'en a pas toujours été ainsi, je rentrais dans la vie avec des atouts certains pour la hype, comme le suggère cette conversation que j'ai eue ce matin-même avec Tom : 
Moi : Quand j'avais 12-13 ans j'étais fan d'Aerosmith et donc je demandais à mon frère de me dessiner leur symbole au bic sur l'épaule, et après chaque douche quand c'était parti je lui demandais de le refaire. Et j'avais toujours des craies sur moi que j'utilisais pour dessiner des marelles, parce qu'on jouait beaucoup à la marelle avec ma meilleure amie, mais c'est pas parce qu'on était petites et qu'on aimait jouer à la marelle comme des enfants, c'était (cherche mes mots) plus subversif, plus second degré, une sorte de célébration nostalgique, c'était...
Lui (finit ma phrase d'un air entendu) : C'était néo-punk.
Hahaha.
A moins que ça ne révèle que j'ai toujours été un peu à l'ouest parce qu'à 12 ans je pensais que jouer à la marelle c'était cool ? Le mystère reste entier).
 
Bon, sinon, autre passion que je me suis découverte (en dehors des plaids et du jardinage) (et de la jolie vaisselle, j'ai oublié la jolie vaisselle) (si si je vous jure) : je me suis mise à ... wait for it... faire de la généalogie. (#badasserie).

 

 
J'y ai passé des heures et des heures. 
J'ai déchiffré des infos, des noms, des dates, des adresses sur des archives scannées (des extraits de mariage, de naissance, des fichiers datant de la guerre expliquant où un soldat avait été envoyé au front ou bien où il avait été envoyé après avoir été blessé), je me sentais comme une petite détective, c'était absolument passionnant. 
Du coup je suis remontée jusqu'au 16ème siècle, où deux de mes ancêtres s'appelaient Barbe et Mougeotte. (Mougeotte, quoi. Tellement la classe). (Je pense que si j'ai une fille, Mougeotte sera son deuxième prénom) (Quand je vous disais qu'il ne fallait pas que je fasse d'enfant). 
J'ai aussi découvert que j'avais des arrière-arrière-grand-parents marchand et marchande de nouveautés en Mayenne (j'adore), des ancêtres domestiques au fin fond du Finistère au 17ème (ils ont dû avoir tellement froid - pauvres gens), mais aussi des oncles comtes et comtesses, dont une bonne partie ont fait fortune en Martinique au 18ème siècle (#oups bis). 
Déjà que je suis la seule personne que je connaisse à avoir eu des grand-parents pétainistes convaincus ayant carrément habité à Vichy pendant l'occupation, ça commence à bien faire...


 
Eh oui. La généalogie ne révèle pas que des choses glorieuses, mais aussi des choses tragiques, comme la mort d'un de mes ancêtres écrasés dans la fleur de l'âge par une armoire qu'il tentait de monter à l'étage. Avouez que c'est tout de même malheureux. 
 
Bref, avec toute cette convalescence coupée du monde qui s'effondrait, j'ai dû passer deux semaines à Paris en tout depuis début mars et en vrai je m'en porte extrêmement bien. Et je redoute terriblement le retour à la vraie vie (enfin c'est comme ça que j'appelle ma vie d'avant). Celle où il y a des gens, des voitures, des responsabilités, des échéances, des angoisses, et une pénurie crasse de plantain lancéolé. 

J'ai vécu toute ma vie à Paris, voyez vous, et j'ai toujours pensé que je ne supporterais pas de vivre ailleurs. (Il faut dire qu'après un mois et demi d'été loin de la ville, j'ai toujours ressenti ce grand besoin de revenir me faire un petit fix de pots d'échappement). L'effervescence, l'animation incessante, les opportunités, le sentiment d'être au coeur des choses, d'être là où ça se passe... Mais le fait est que, là maintenant tout de suite, ça ne me manque pas du tout. 
Du moins pas pour l'instant, pas dans l'état où je suis actuellement. Parce que le monde réel, je le trouve vachement hostile, quand même. (Pas vous ?). 
 
 
Du coup, pendant ce confinement-convalescence qui dure depuis des mois, je me laisse aller à mes penchants d'ermite comme jamais auparavant. Et j'aime ça. (Bon, ça en est au point où je renonce à aller acheter un rôti parce que ça revient à parler au boucher et que je préfère acheter des trucs en rayon (sous plastique)(oui) qui me permettent de ne parler à personne, mais bon). Et je me surprends à rêver à une vie dans laquelle j'entendrais les oiseaux et le vent le matin en me réveillant, après m'être endormie loin des lueurs et des bruits de la ville. Une vie où il y aurait plus d'herbe et moins de gens. Un fantasme que Lady V a du mal à concevoir...
Lady V : Ah tu pars en vacances au fin fond de la Bourgogne ? Cool. Il paraît que c'est très beau. Moi, je préfèrerais mourir, mais bon.
Et l'idée de me terrer quelque part pour peut-être écrire quelque chose, pas anonymement cette fois, me trotte dans la tête comme un doux rêve, même si je ne m'autorise pas encore vraiment à m'en croire capable. En attendant, donc, je recommence à peu à écrire sur ce blog, ce curieux mélange de posts avec des libellés comme celui qu'on me propose en ce moment-même à droite de mon écran : "Confucius et Barbie photographe sont dans un bateau" (hum... bien bien bien...). (En même temps il y en a bien qui ont fait fureur en chantant "Vive ma tante, vive la Nouvelle Zélande", donc bon).
 

Ca peut paraître étrange mais je n'ai qu'un vague souvenir de ce que contiennent les différents posts que j'ai rédigés ici. Je tombe parfois sur certains titres qui ne me disent absolument rien, et je pourrais sûrement relire le tout et être agréablement surprise (voire rire à mes propres blagues comme à celles de quelqu'un d'autre), mais j'ai un peu peur d'avoir honte aussi, comme quand j'ai feuilleté les "romans" que j'avais écrits au collège-lycée.
Oui parce que voyez vous, j'ai commencé à écrire à 11 ans. Je venais de lire le Journal d'Anne Franck, et, comme beaucoup de petites filles j'imagine, ça m'avait galvanisée. Il faut dire que j'aimais déjà écrire : en primaire, j'achetais des cahiers de vacances uniquement pour le plaisir d'avoir des sujets de rédaction et je me souviens avec émotion que mon maître de CM1 lisait toujours mes rédactions devant la classe (sans dire que c'était les miennes, mais moi je le savais, et ça me rendait folle de fierté - et complètement mégalo). A 12 ans déjà, je voulais écrire mon premier livre avant mes 18 ans pour être encore plus précoce que Françoise Sagan (qui a écrit Bonjour Tristesse - un de mes livres préférés à cet âge là, et pour cause, je n'en avais pas lu tant que ça - à 18 ans, ça m'impressionnait beaucoup).
Passé mes 16 ans, je n'avais toujours rien publié : j'avais un peu les boules. Je sentais que j'étais en train de louper un bon atout promo. (True story). 
Et puis c'est aussi l'âge où j'ai commencé à vraiment lire des livres, et au lieu de nourrir mon envie d'écrire, ça m'a un peu écrasée, parce que j'ai pensé que tout avait été écrit, et tellement mieux que je ne pourrais jamais le faire... Faut dire que c'était viser un peu haut, dès la puberté, de vouloir devenir Françoise Sagan ou Simone de Beauvoir.
 
 
 
Du coup, dès mes 18 ans, j'ai décidé de bouder, et après sept ans d'écriture intensive et passionnée, j'ai arrêté d'écrire. Complètement. (Jusqu'à ce blog).
 

Mais j'aimerais essayer d'écrire autre chose. Peut-être. Je ne sais pas. Faudrait que j'essaye. De me lancer. Et peut-être que j'arriverais à écrire un truc juste pas trop mal, et ce serait déjà un immense accomplissement et une immense fierté.


Donc voilà. 
Dans un film, je me mettrais à écrire (on me verrait pendant une longue minute taper à l'ordinateur dans toutes sortes de positions, habillée dans toutes sortes de vêtements, de jour comme de nuit, par temps de pluie et par beau temps - on verrait passer les saisons par la fenêtre pour montrer que j'y ai passé beaucoup de temps - et on me verrait jeter des boulettes de papier à la poubelle en soufflant, découragée et décoiffée, pour montrer que ça a été comme un accouchement) (on ne jette pas de boulettes de papier quand on accouche ?), puis il y aurait quelques rebondissements (on croirait pendant un moment que j'abandonne, ou que ce que j'écris est nul, ou que ça n'intéresse personne)(tout du long je serais pleine d'humilité et d'incertitudes), puis ce serait finalement un immense succès et je serais jeune et belle et épanouie et riche et célèbre (mais toujours humble) et on me verrait enceinte, souriante, emménager dans une magnifique maison loin de Paris avec l'homme de ma vie, et j'aurais mon propre bureau pour continuer sur ma lancée et écrire un deuxième bestseller, et on nous entendrait, nos voix de plus en plus étouffées, emménager en riant pendant que la caméra s'éloigne de la maison... 
 
Dans la vraie vie (celle avec le T-Rex au coin de la rue), je ne vous promets rien. 
 
Mais on peut toujours fantasmer.
 

 
Je vous tiens au courant. 


mercredi 29 janvier 2020

To breed or not to breed ?

Août 2018. On est quelque part dans le 5ème. Les filles sont rentrées de Tahiti (pour de bon) depuis pas très longtemps et je suis avec Pollyanna devant le bar. Elle est sortie fumer une clope et je suis venue la rejoindre parce que le barman avec qui on discutait avec BB était une tête de con (il nous racontait qu'il baisait avec plein de meufs mais qu'il ne mettait jamais de capote parce que "t'en connais des gens qui ont le sida toi?") et que ça me rendait ouf. On se met vite à parler bébé. De leurs efforts pour en avoir un et des raisons pour lesquelles, moi, je ne suis pas du tout sûre d'en vouloir. J'expose un certain nombre d'arguments, assez longuement, mais quand BB nous rejoint et que le sujet revient dans la conversation, Pollyanna  lui résume ma position de façon assez efficace.
BB, s'adressant à moi : Bon et toi alors, avec Tom, vous vous y mettez quand ?
Moi : Ben... Je suis pas sûre de vouloir des enfants, en fait.
BB : Ah ouais ? Mais pourquoi ?
Pollyanna, soufflant la fumée de sa clope, laconique : Elle a la flemme.

C'est évidemment plus compliqué que ça, mais ça résume finalement assez bien les choses.

Voyez vous, toute ma vie je me suis dit que je voulais avoir des enfants quand je serais grande.
Puis quand j'ai été grande mais célibataire je me suis dit que je voulais avoir des enfants mais qu'il me fallait un père. Parce que je ne voulais pas avoir des enfants en soi : pas toute seule. Ce que je voulais c'était fonder une famille, reproduire la petite famille nucléaire dans laquelle j'avais grandi.
Et puis maintenant je suis grande, et je vis avec l'homme le plus merveilleux que la Terre ait jamais porté, et il veut bien qu'on ait des enfants, et du coup ben... je ne sais plus.
Il faut dire que je n'avais jamais été confrontée à cette situation avant.


J'ai 38 ans, il serait donc temps que je me décide.
Mais force est de constater que je n'ai pas du tout envie d'avoir des enfants là maintenant tout de suite. Or, si ce n'est pas là maintenant tout de suite, si c'est plutôt là bas demain plus tard, ça risque peut-être d'être loin loin là bas jamais en fait. Alors certes je sais bien que je peux encore faire des mômes jusqu'à 40 ans, tout ça, mais bon, je vois tellement de couples qui galèrent, qui mettent deux ans à y arriver, je me dis qu'à 40 ans ce n'est pas parce que c'est possible que ce sera simple, là, comme ça, juste parce que je l'aurai décidé. Si je le décide.

Oui parce que voyez vous Tom Pouce est merveilleux. En gros, il ne fait aucun doute que si je voulais un enfant dans l'immédiat, il serait ravi que nous en fassions un. De même, si je décide que je ne veux jamais d'enfant, c'est ok aussi. On en a parlé, il serait heureux d'être père, mais pas malheureux de ne pas l'être, et là du coup sur ce coup là il veut ce que je veux. Or, ben... je ne sais pas ce que je veux.
C'est une liberté merveilleuse qu'il me laisse et, en même temps, c'est une pression et une responsabilité énorme. Des fois, je regrette qu'il ne soit pas plus sûr de ses désirs à lui. S'il me disait qu'il veut absolument un enfant, quelque part ça réglerait le problème : je dirais oui, et voilà. (S'il n'en voulait pas, ça ne serait pas si simple, cela dit. Soyons honnêtes, il ne fait aucun doute que s'il ne voulait pas d'enfant je crèverais d'envie qu'il me donne ce qu'il refuserait de me donner - et je prendrais pour un manque d'amour qu'il ne veuille pas fonder une famille avec moi).
Là, il est comme moi, il se tâte. D'autant qu'il a 33 ans, ce qui n'aide pas forcément à créer en lui un sentiment d'urgence, même si sa douce et tendre en a 38.
Je ne vais évidemment pas me plaindre d'avoir un mec qui m'aime et qui veut mon bonheur et est prêt à me faire des enfants demain, ou dans deux ans selon mon bon vouloir - et qui serait un père merveilleux - mais qui est aussi prêt à vivre avec moi, rien qu'avec moi, sans progéniture, et à s'en porter bien. C'est juste que des fois je regrette que la décision repose sur mes épaules.
L'idée d'avoir des enfants m'inspire davantage de peur que d'envie, mais j'ai aussi parfois peur de regretter de ne pas avoir eu d'enfants.
Dilemme de beaucoup de trentenaires aujourd'hui.

Je vois des couples qui ont fait des enfants et qui sont comblés. Qui vont même jusqu'à en faire un deuxième : comme quoi ça doit pas être si mal, s'ils réitèrent. (Quoique ça peut être une tactique sur le long terme : à deux, les enfants jouent ensemble et donc représentent, après quelques années, paradoxalement moins de boulot).
Je vois des couples qui n'ont pas d'enfants, qui n'en veulent pas, qui le savent, et je leur envie leur certitude à eux aussi. Je leur envie leur tranquillité d'esprit.
Je vois des couples qui galèrent à en faire et qui en souffrent mais qui savent qu'ils en veulent un, et quelque part je leur envie leur certitude, même si je ne leur envie évidemment pas la souffrance liée au fait de vouloir un enfant et de ne pas y arriver.
Le désagrément que cause mon incertitude n'est évidemment pas comparable à la souffrance de ceux qui veulent un enfant et n'y arrivent pas, mais bon, voilà, il est là.
La balance penche essentiellement vers le "not to breed", en ce qui me concerne, car comme je le disais, force est de constater que je ne suis pas du tout taraudée comme certaines par le désir d'enfant.
Oui, bien sûr qu'il m'est arrivé d'avoir envie de pleurer quand une amie à moi m'annonçait qu'elle était enceinte alors que moi j'étais célibataire, mais c'est parce que je lui enviais de construire quelque chose avec quelqu'un, d'être "arrivée", en quelque sorte (oui, comme si une femme avait réussi sa vie une fois qu'elle avait obtenu d'être en couple avec enfant, je sais que c'est con mais je suis un fruit de mon époque, hein). Mais maintenant que je suis en couple, les grossesses des autres ne me font plus pleurer.
Je trouve leurs enfants adorables, je suis gâteuse devant leurs petits bouts de chou, je les câline, je joue avec eux, tant et si bien qu'on me dit parfois "Mais si ça te met dans cet état là faut t'y mettre, hein, faut en faire un". Mais je ne sais pas, en fait, si j'en veux un... 
Quand elles ont l'air comblées, je leur envie ce sentiment de béatitude, d'accomplissement, comme Gigi ou Petrouchka qui ont deux enfants chacune aujourd'hui et sont au comble du bonheur, parce qu'elles ont aujourd'hui ce qu'elles ont toujours voulu et se réalisent complètement dans leur rôle de mères. Je leur envie ce bonheur, tout en sachant (pensant ?) que pour moi ça ne fonctionnerait pas.

Voyez vous, je suis une fille essentiellement flemmarde.
Tout est relatif, évidemment.
Si on me compare à mon père et mon frère, par exemple, alors je suis une boule d'énergie, un zébulon, une hyper-active, ou, pour reprendre les mots utilisés il y a peu par Fleur pour décrire BB, "un motoculteur". Mais si on me compare à BB, justement, qui travaille le jour, va en boîte la nuit et, dès qu'elle a une demi-heure de pause dans une journée déjà très chargée, en profite pour aller faire un tennis, alors je suis la fille la plus casanière et la plus molle qui soit. Donc bon, c'est une question d'échelle. C'est un peu comme pour la propreté. Mon frère m'appelle "la police de l'hygiène" et me trouve psychorigide alors que comparée à beaucoup je suis plutôt une grosse slob bordélique... Mais bon, reprenons :
Je suis une fille assez essentiellement flemmarde.
Je suis sociable, oui, mais depuis toujours je suis aussi la fille qui fatigue la première en soirée.
Je suis la fille qui allait dormir sur les manteaux en milieu de soirée, vous savez. Celle qu'il fallait réveiller pour récupérer votre sac à main parce qu'elle était étalée dessus, inconsciente. Je suis cette fille là.
Je suis casanière, en partie je pense parce que comme je suis un peu psycho-pétée, j'ai besoin de beaucoup de calme pour mon équilibre personnel. Et quand je vois à quel point je suis fatiguée et angoissée quand je rentre du boulot le soir, je n'imagine pas une seule seconde comment je pourrais, en plus de ça, enchaîner sur une seconde étape faite de contraintes où je devrais m'occuper d'un enfant.
Je ne sais pas comment font mes collègues. Ceux qui ont des enfants. Moi, personnellement, quand je rentre du boulot, la première chose que je fais, c'est me mettre en pyjama et m'effondrer sur mon lit pour y geeker une ou deux heures. J'ai besoin de ça pour me ressourcer après une journée de travail, j'ai toujours admiré les gens qui peuvent enchaîner sur des activités sportives, culturelles ou familiales - courir au yoga, aller chercher les enfants, aller au théâtre...-, moi je n'en suis pas capable. Je ne dis pas que je ne le fais jamais, hein, mais ça reste exceptionnel. Parce que j'ai un besoin infini de calme et de repos pour être heureuse (et par là j'entends sereine), et parce que j'aime ma vie telle qu'elle est, quand je peux rentrer et passer la soirée à glander avec Tom-Tom, à poil sur le lit avec une bière et le chat, à mater des séries bêtes et à rigoler. Des fois j'imagine un enfant sur le lit avec nous et je me dis... non.

Beaucoup de mes collègues qui ont des enfants m'ont dit qu'elles étaient beaucoup plus efficaces depuis qu'elles étaient mères, qu'elles se laissaient moins bouffer par le boulot parce qu'il était devenu secondaire. Du coup en soi ça a l'air plutôt cool, si c'est un truc qui me permettrait de moins me faire bouffer par le boulot. Mais bon, si au final ça marche pas et que ça fait juste un truc supplémentaire qui me bouffe, c'est le burn out permanent assuré, et pas sûr que ça soit un super projet de vie. Arrêtez moi si je me trompe. 
Evidemment que quand je suis chez des amis qui ont des enfants j'adore les prendre sur mes genoux (les enfants, pas mes amis), les faire rire, et que je fantasme parfois au bonheur d'avoir un petit être comme ça qui grimperait sur mes genoux en m'appelant "maman". Et oui, j'aimerais parfois pouvoir observer un petit être grandir au jour le jour, le voir découvrir le monde, s'émerveiller au zoo, ouvrir de grands yeux quand il apprendra que la Terre est une boule qui tient toute seule dans le vide ou encore qu'il existe sur Terre des animaux dont il ignorait jusqu'ici l'existence et qui s'appellent des gnous (un moment fondateur de mon existence)... Mais bon, pour être honnête je crois que ce qui m'intéresse essentiellement chez les enfants, c'est leur côté peluche + sujet d'étude de l'être humain + petit élève docile avec qui je pourrais jouer à la maîtresse + projection fantasmée de ma propre enfance fantasmée. Des raisons qui suffisent sûrement à beaucoup de gens mais qui ne me semblent pas suffisantes en soi. Et puis bien sûr il y a l'envie assez humaine de prétendre à une forme d'immortalité à travers son enfant : l'envie de pouvoir léguer ce que j'ai moi-même hérité de mes parents, pour que ma mère, mon père, mon frère, mon conjoint et moi-même continuions à vivre à travers quelqu'un après notre mort.
Mais bon, bref, on ne fait pas des enfants pour avoir une peluche à qui parler de gnous et de planètes, ou pour avoir une sorte de disque dur externe sous forme humaine qui puisse faire vivre vos souvenirs après votre trépas. Not valid.
Ah oui, j'oubliais aussi le désir - non négligeable - d'avoir un enfant pour lui donner un prénom cool, un peu comme quand tu te prenais de passion pour un prénom étant enfant et que tu t'empressais de jouer aux Barbies ou de commencer un nouveau "roman" pour donner ce prénom à ton nouveau personnage. Je me souviens très bien de mes passions d'enfant pour les prénoms Jennifer, Pamela et Philomène... Oui. (Sachant ça, peut-être qu'il est en effet préférable que je ne fasse pas d'enfant, en fait). 

Autre gros problème : j'ai beau envisager ces moments de bonheurs potentiels, quand je pense à avoir des enfants, je vois essentiellement les contraintes et les souffrances apparentées. Thomas dit que ça doit pas être facile tous les jours, d'être moi, à toujours envisager le pire, mais par exemple j'ai beau trouver les enfants des autres immanquablement adorables, je suis en réalité intimement persuadée que mon enfant à moi serait un monstre qui gâcherait ma vie. Disons que si jamais je pouvais rencontrer le môme en personne au préalable avant de signer pour l'accueillir dans mon quotidien pour l'éternité, y aurait peut-être moyen de négocier. Un peu comme avant un rendez vous ok cupid, je consulterais ses réponses à une série de questions pour savoir si on est compatibles (par exemple, s'il a un intérêt tout relatif pour les gnous, mais que genre il adore le marketing, c'est mort). Mais je ne me sens pas joueuse au point d'accueillir dans mon foyer (de 30 mètres carré qui plus est) un petit être étranger dont je ne sais rien et qui fort possiblement me fera la misère et me balancera ses petits pots dans la gueule en hurlant. 
Tout le monde dit en effet qu'un accouchement, c'est une rencontre, et que tu rentres à la maison avec un petit être qui a déjà une personnalité bien à lui.... Et si la personnalité de mon môme à moi, c'était d'être un malade mental toxique ? Ou une adulte naine psychopathe déguisée en petite fille ?

 My point exactly.


Sûrement une déformation professionnelle, aussi. En fait je pense que le métier de prof en dégoûte beaucoup d'enfanter. Parce que je veux bien un enfant jusqu'à genre ses dix ans, mais après, ben... j'ai vu, et j'ai pas été conquise conquise, en fait. 
En effet, cette peur d'avoir un môme hostile qui ne m'obéit pas et me balance des objets à la gueule, je n'ai pas à aller chercher très loin dans ma mémoire pour savoir d'où elle vient.
Le collège, c'est une jungle. Tous ces gosses qui se martyrisent les uns les autres, qui martyrisent leurs profs, qui martyrisent leurs parents... Des parents d'élèves au bord de la crise de nerfs, j'en ai vu. Eh ben ça ne m'a pas du tout donné envie d'être à leur place.



J'ai aussi vu des proches m'avouer que la parentalité ben... c'était dur. Surtout les hommes, d'ailleurs, c'est marrant. Quasiment aucune mère n'a réellement encore osé verbaliser clairement devant moi qu'elle en chiait. Ca n'est pas socialement accepté, une mère qui n'est pas comblée par la maternité. Elle a le droit de dire qu'elle en chie, mais elle doit ajouter que ça vaut le coup. Il n'y a que des pères qui se soient autorisés à me dire des trucs comme, (hagards) "Oui enfin c'est important de dire que ça n'est pas que du bonheur, hein" (après ne m'avoir, à ce propos, jamais dit que ça en était), ou à me dire carrément de ne pas en faire. (Un des pères m'ayant explicitement conseillé de ne pas enfanter étant par ailleurs mon propre père, ce que, hum, je ne sais pas trop comment prendre). 
Moi l'autre jour à un collègue, père depuis deux ans : Eh, salut ! Ca fait longtemps que j'ai pas eu de tes nouvelles dis donc, on se voit plus. Ca va ?
Lui : Oui, en fait moi aussi ça fait un moment que je ne me suis pas vraiment vu... Je te cache pas que moi aussi j'aimerais bien prendre un peu de mes nouvelles un de ces quatre mais bon, c'est pas pour tout de suite je crois. 
Un autre collègue, un autre jour, à propos de mon désir potentiel d'enfant : Oh non, fais pas d'enfant ! Le problème des enfants c'est qu'ils sont tout le temps là. Tu dînes le soir avec ta femme, ils sont là. Tu pars en week-end, ils sont là. Tu pars en vacances, ils sont là. Ils sont là tout le temps

Et c'est vrai que c'est diablement time-consuming, un enfant. J'ai beau adorer ma nièce de désormais onze ans (la nièce de Tom, en fait), qui me le rend bien, je craque assez vite face à la sollicitation constante dont je suis l'objet quand je la vois, depuis plus de trois ans que je suis avec son oncle. Viens on joue aux petits malins, d'accord après ton café, bon tu viens jouer maintenant, mais t'as promiiiis, et tu connais les Totally Spies, et blablabla, et moi j'ai peur des araignées parce qu'une fois blablabla et puis mon poney il s'appelle Tonnerre et blablabla et toi c'est quoi ta couleur préférée et viens on fait un selfie, et mon dernier amoureux il avait peur de l'orage, blablabla, viens on se filme en train de dire des bêtises, et toi t'as eu combien d'amoureux, et tu veux que je te récites toutes les citations de ce film que j'adore et que t'as jamais vu, non, ben tant pis je le fais quand même, et après viens on court jusqu'au poteau là bas. Elle est adorable et je l'aime sincèrement beaucoup mais honnêtement elle m'épuise, je ne m'entends plus penser. Or, j'aime bien le calme. Et quand en week-end ou en vacances je vois ces couples dans les restaurants qui n'échangent qu'avec leurs enfants et pas entre eux, eh ben je suis contente d'être tranquille avec mon homme et de pouvoir parler longuement avec lui et décider de qu'on a envie de faire sans devoir prendre en compte les envies de qui que ce soit d'autre.
BB me dit qu'un jour on sera un vieux couple et qu'on se fera chier, et elle a peut-être bien raison, mais bon on ne va pas faire un enfant pour s'occuper : plein de couples se suffisent à eux-mêmes et j'espère qu'on sera de ceux là. 
Elle me dit de congeler mes oeufs parce que je risque de regretter et que ça m'offrira la tranquillité d'esprit à laquelle j'aspire. Mais Thomas dit que si je n'ai pas envie d'enfant aujourd'hui, les chances que j'en veuille subitement demain sont faibles. Je réponds que peut-être que je serai prise de panique quand tous nos amis auront des enfants et auront organisé toute leur vie autour d'eux parce que je me sentirai mise sur la touche. Mais on ne fait pas un enfant alors qu'on n'en a pas envie simplement parce qu'on risque de regretter après. C'est pas comme une robe en promo qu'on n'est pas sûre de porter un jour mais bon, zou, on la prend parce que sinon elle va disparaître. Parce qu'on ne peut pas revendre son môme sur Vinted, ni le filer à une copine ou à Emmaüs. Eh ouais. La différence entre les robes et les enfants. Fâcheux. 

Bref. En vérité je vous le dis : sauf événement inattendu majeur (genre grossesse), les chances que je vous annonce demain que j'ai accouché sont faibles. Et finalement, après ce long post où je parle à tort et à travers, force est de constater que comme Pollyanna le résumait si bien, en vrai... je ne ferai pas d'enfant parce que j'ai la flemme. Et je ne sais plus qui m'a dit un jour que ça n'était pas une bonne raison. Alors que moi je la trouve on ne peut plus valide, en fait. Si je préfère glander le soir, dormir la nuit, faire la grasse matinée le week-end, jouer un minimum aux petits malins (ou alors juste pour le plaisir de les appeler Pamela et Philomène), et regarder des documentaires sur les gnous entre adultes, eh bien diantre, c'est mon droit le plus strict.

La vérité c'est qu'un enfant serait un chamboulement qui risquerait de mettre à mal mon équilibre, que c'est trop d'inconnu pour quelqu'un qui comme moi peine souvent à être sereine.
C'est un peu comme pour cette histoire de réorientation professionnelle : on sait ce qu'on perd, et on ne sait pas ce qu'on trouve. Or, j'ai une idée confuse de ce qu'il y peut y avoir de merveilleux dans la parentalité et dont je me prive, mais je sais aussi (et surtout, parce que je ne connais que ça, c'est mon quotidien, et - boulot excepté - je l'aime bien) ce à quoi je devrais renoncer, et je n'y suis pas prête.
Et puis j'ai beau savoir que plein de couples s'éclatent avec leurs enfants et qu'ils leur procurent davantage de joie que de désagréments, moi dans l'ensemble (comme je le disais déjà précédemment) j'ai tendance à ne voir que la souffrance potentielle. La fatigue, le stress, la pression, le sentiment de se perdre, le gamin qui t'accapare, le gamin qui te rejette, l'ado qui te fait des reproches, l'ado qui te manque de respect, la peur constante qu'il leur arrive quelque chose, la peur de les traumatiser avec ma peur constante qu'il leur arrive quelque chose, la culpabilité d'avoir mal fait... (Tom a raison : parfois c'est fatigant d'être moi). Déjà que je ne supporte pas la pression, la charge mentale, la culpabilité, la constante remise en question et l'exposition constante au jugement des autres induites par mon métier de prof, donc être mère en plus...


Ma dernière psy a essayé de parler avec moi de cette peur, un peu comme si redouter la maternité était une pathologie, une anomalie psychologique que j'arriverais à surmonter une fois correctement psychanalysée. Comme si une femme en bonne santé psychique ça existait voulait forcément un enfant.  Et je ne dis pas que cette peur ne dit pas quelque chose de moi, hein, simplement que ça n'est pas forcément un truc négatif qu'il faille régler.
C'est marrant, cette idée qu'une femme qui ne veut pas d'enfant est en quelque sorte défectueuse. J'ai deux collègues il y a quelques mois, cinquantenaires avec enfants, qui disaient à la cantine que ne pas vouloir d'enfants étaient une forme d'égoïsme. D'égoïsme ?!
Non mais comment peut-on être égoïste de ne pas vouloir s'occuper d'un être qui n'existe pas ? Si je faisais passer mon bonheur avant et au détriment de celui d'un enfant existant, passe encore (un truc que j'ai suffisamment pu reprocher à mon père pour ne pas personnellement prendre le risque qu'on me le reproche un jour), mais égoïste de ne pas vouloir créer un enfant pour m'en occuper ? C'est ouf, cette société, quand même.
J'ai une autre collègue qui vit avec un homme d'une cinquantaine d'années, père de deux ados issues d'un premier mariage, et qui me racontait qu'il critiquait les jeunes femmes d'aujourd'hui, les femmes comme elle quoi, ces adulescentes qui veulent vivre leur vie sans entrave et qui sont selon lui beaucoup plus immatures et égocentriques que les femmes de sa génération. (Oui, elle a tiré le gros lot). C'est marrant, cette idée hyper répandue que ne pas vouloir avoir d'enfant c'est 1) être anormalement autocentrée et donc moralement défectueuse et 2) refuser de grandir.

Alors oui, évidemment, je rêve parfois d'emmener la petite Philomène à la pêche aux coques comme ma mère l'a fait avec moi quand j'étais enfant, et je suis convaincue qu'elle serait adorable dans ses petites bottes en caoutchouc coloré, mais en vrai je ne suis pas prête à sacrifier mes grasses matinées pour cette image d'Epinal. Car je vous le rappelle, derrière cette image d'Epinal, je n'oublie jamais qu'en réalité, Philomène s'appelle peut-être Nathalia. (On ne se méfie jamais assez).

Je finirai sur ce petit échange cocasse à une soirée où j'étais il y a quelques mois. Une soirée privée, pour un anniversaire, où il y avait un vigile à la porte qui demandait un mot de passe (le mot de passe, c'était tiger) (si), une nana dans l'entrée qui prenait ton manteau et ton sac en échange d'un ticket (si), et dans le jardin, à côté du trampoline géant, des mecs payés pour te faire des hot-dogs. Un monde parallèle. Très très étrange. Chez des amis d'amis d'amis. Bref. Un échange que j'ai eu là bas avec un mec d'une quarantaine d'années, jeune papa :
Lui : Bon et vous, vous pensez à faire un enfant ?
Moi : Ben je suis pas sûre d'en vouloir, en fait.
Lui : Ah ouais ? C'est con, il faut se lancer, vraiment. Moi je suis le plus heureux des hommes. Au début j'avais la trouille mais je ne regrette pas du tout, c'est une expérience incroyable. Vous devriez faire un enfant, franchement c'est con de se priver de ça.
Moi : Ben c'est vrai que j'ai peur de regretter, mais je crois que cette peur est surtout construite par la pression sociale, en fait. Parce que justement les gens me disent que je vais regretter.
Lui : Ah non mais ça tu t'en fous, ces gens là faut pas les écouter (#ironie) : la pression sociale, c'est de la merde. Tu fais tes propres choix. 

Ah. Bon ben ok, alors. Je vais faire ça. (Une fois que je saurai ce que c'est, mon choix) (Hum).