vendredi 7 mars 2014

Martine fait de la politique

ATTENTION POSTE FLEUVE.
Installez vous bien dans votre fauteuil et allez vous servir un peu de popcorn avant de commencer.

I deal with a hundred kids. A day. 

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Je suis de retour de vacances. 
Vacances que j'ai essentiellement passées à regarder des séries bêtes, disons-le.

En effet, le Capitaine travaillant très dur, j'ai décidé de me ménager le cerveau pour deux. 
J'ai donc enchaîné en deux petites semaines une saison de Devious Maids, une de Real Humans et une autre de Revenge.
C'est que j'avais déjà fini la deuxième saison de House of Cards, voyez-vous, et qu'un seul épisode de True Detective par semaine, c'est trop peu. (True Detective, la nouvelle grande série du moment).

Il fallait que je m'occupe, quoi.
(Et j'allais quand même pas aller au musée, si ?)
Sauf que si, je vous l'accorde, j'aurais pu.
J'ai d'ailleurs lamentablement loupé l'expo de la British Gallery sur The Georgians qui avait l'air vraiment bien, mais bon, tant pis. J'achèterai le livre.
En attendant de l'acheter je me suis consolée dans leur gift shop en achetant une carte sur laquelle il est écrit : "What to say when you talk to yourself". C'est une fausse couverture de bouquin. Apparemment c'était le titre d'un vrai livre au départ. (Livre que je regrette de ne pas pouvoir lire : ça m'aurait sûrement aidée pour écrire ce blog).

Mais revenons-en à mes séries. Real Humans c'était pas mal, en fait. Même si ça s'épuise vite.
L'idée est bonne (quoique loin d'être inédite), et ça m'a inspirée pour une séquence avec mes 3e sur les humains et les robots et les Lois de la Robotique d'Assimov et tout, et ça, c'est cool. J'ai même récupéré des films sur des petits chiens robots japonais (c'est trop mignon, j'en veux un) et regardé I-Robot pour l'occasion. Si ça c'est pas une prof dévouée ! (Je ne regarde pas de films avec Will Smith pour le premier venu).

Bref, les vacances sont finies.
J'ai donc laissé mon matelot au bord du Regent's Canal pour rejoindre mes appartements et ma petite Lizzie Bennett avec son chapeau à ruban. 
Oui, Lizzie Bennett, c'est le nouveau nom de Nala. 


En effet, depuis qu'on lui a ligaturé les trompes (pauvre petite poule) (en même temps ça y est, elle était pubère, elle allait vouloir coucher avec les garçons, cette petite gourgandine) (saute-au-paf comme elle est, à faire du gringue au premier venu, ça n'aurait pas été joli à voir, moi je vous le dis) (je sais ce que vous allez me dire : que les chiens ne font pas des chats) - Depuis qu'on lui a ligaturé les trompes, donc, Nala porte une fort jolie collerette violette attachée avec un ruban vert. Elle a donc un joli petit noeud vert sous le menton.
Bref, j'ai un petit personnage de Jane Austen à la maison. 
Même si -comme Lizzie- elle manque un peu de tenue et n'est pas tout à fait prête pour la vie en société (sa manie de suivre les gens aux chiottes et de se placer pile sous le jet d'urine de mes invités pour jouer avec a parfois entraîné quelques déconvenues).
Nala a une collerette, quoi. Du coup elle n'y voit plus rien, elle se prend les murs, et elle renverse tout sur son passage comme un petit éléphant en tutu. Mais c'est pas grave, elle est chou.


Pendant que le Capitaine travaille dur outre-Manche et que Mamzelle Scarlett s'amuse à saccager mon appartement et à éventrer mes paquets de céréales, donc, je vis pour ma part ma petite vie de professeur dans le 93. 

Voici donc un résumé de ma première semaine post-vacances que nous intitulerons :  

LE POINT WESH MADAME

3ème, en plein cours :
Manon (hilare) : Madame Madame, Salayna il a dit que j'étais chauve !! 
(Inutile de préciser que Manon n'est pas chauve. Manon a une jolie petite paire de nattes. Mais Salayna n'arrête pas de la taquiner - gentiment - et elle le lui rend bien).
5 minutes plus tard :
Manon : Madame, madame, Salayna il arrête pas de m'embêter ! Vous savez ce qu'il a dit ??! Il a dit que j'étais chauve et que mon père c'était une chèvre !!!
Salayna : Ouais ben y a que la vérité qui blesse, hein !
Hahaha. J'ai ri. 

3ème, contrôle, les élèves ont leurs copies, j'explique les consignes :
Moi : Là à l'exercice 3 vous devez juste poser deux questions à un ami pour lui demander ce qu'il a fait hier. C'est pour vérifier que vous savez poser des questions au passé.
Sarah (sincèrement perdue) : Hein ? On leur demande là comme ça à l'oral ? 
Maxime (inquiet) : Mais on les écrit en anglais ?! 
Vingt minutes plus tard, en plein contrôle :
Neigia (se tourne vers Yasmine pour son exercice) : Yasmine t'as mangé quoi hier soir ?
Arf...

3e, compréhension orale :
L'enregistrement disait que la peine capitale (capital punishment) avait été abolie sous le règne d'Elizabeth II d'Angleterre. Un élève m'a annoncé après coup, ravi d'avoir compris, que grâce à Elizabeth II, le capitalisme avait été aboli. (Sauf qu'il a dit "abolu"). Ca m'a fait rire. Je lui ai dit que si le capitalisme avait été aboli, ça se saurait.

6ème, cours sur les descriptions physiques, ils doivent se décrire à l'écrit.
Dorcas et Myriam se mettent à parler entre elles, à voix haute, alors qu'elles sont assises à deux points opposés de la classe :
Dorcas : Ils sont comment mes cheveux à moi ? Ondulés ou bouclés ?
Myriam : Et moi ? Ils sont longs ou mi-longs ?
Dorcas : Mi-longs je dirais. Et tu dis que t'es blonde, hein !
Myriam : Ouais vas-y non je suis pas blonde !
Moi : Oh, les filles ! Vous faites votre exercice en silence !
Dorcas (s'énerve) : Mais on parle du cours !! Oh la la vas-y on travaille, là ! Ouais ben si c'est comme ça je fais pas mon exercice, alors ! Je travaille et vous me criez dessus ! Vas-y... 

3e, Yossra - emmerdeuse notoire - joue sur son portable en plein cours. Je le lui confisque.
Yossra (suppliante) : Madame pitié rendez-le moi !! Rendez-le moi madame sinon après j'aurai plus le droit d'avoir un portable parce que ma mère elle m'a dit que c'est la dernière fois, que si je me fais encore confisquer mon portable en cours c'est fini ! Un peu de pitié madame, allez !! Et puis la dernière fois que le collège a appelé ma mère elle a fait un malaise ! Ma mère elle a des problèmes de tension madame ! (Puis, voyant que ça ne marche pas, s'énerve) Eh mais madame vous aimez faire du mal aux gens c'est ça ?! Vous avez pas de pitié !! Si vous appelez ma mère pour le portable elle va faire une crise de nerfs je vous dis !! Vous voulez faire du mal à ma mère c'est ça ?! Si ma mère elle fait un malaise à cause de vous je vous jure je vous colle un procès, vous allez pas vous en sortir comme ça !! 



3e, heure de contrôle
Anis rentre dans la salle en chantant et en dansant, puis donne un coup dans la porte et vient me voir à mon bureau pour me dire qu'il s'est fait mal à la main et qu'il doit aller la passer sous l'eau. Je lui dis non, et lui demande d'aller s'asseoir. Il s'énerve, et quitte la salle, fâché. Je le rappelle, il est déjà parti. Puis il revient comme une fleur 20 minutes plus tard. Je ne l'accepte pas, il se fâche puis repart.
(Anis danse, chante, parle à tord et à travers, rit très fort pour un oui ou pour un non, déborde d'une énergie inquiétante, dit régulièrement aux autres en plein cours qu'il les encule et qu'il leur chie sur la gueule, et devient très agressif quand on le rappelle à l'ordre. Un jour, j'ai vraiment cru qu'il allait me frapper. Apparemment il est comme ça depuis la 6e, rien n'y fait. Alors je fais cours tant bien que mal avec lui dans la salle. je n'ai pas le choix).

Plus tard, j'appelle son père qui me dit, accablé, que lui et sa mère font tout leur possible, qu'ils sont dépassés, qu'ils lui parlent tous les jours de son attitude en classe, et j'entends la mère derrière qui fond en larmes, et le père qui me supplie de garder Anis jusqu'à la fin du collège "pas pour Anis, lui il mérite pas, mais pour sa mère, madame..." C'était horrible. 


Souvent, quand tu appelles les parents des élèves vraiment pénibles pour leur parler de l'attitude de leur gamin en classe, tu te retrouves face à des situations que tu n'avais pas prévues. Et c'est très dur et déroutant. Il y a :
- Le parent qui te dit qu'il va régler ça puis appelle son gamin, l'insulte et se met à le taper à peine avant d'avoir raccroché.
- Le parent qui se met à t'expliquer qu'il est en plein divorce et que c'est pas la faute de son gamin s'il est aussi pénible, que c'est parce que c'est très dur pour lui, et qui te raconte sa vie privée pendant mille ans, et il semble évident qu'il se sent tellement coupable qu'il est prêt à tout faire passer à son fils jusqu'à la nuit des temps.
- Le parent qui te dit qu'il est à bout, qu'il ne gère plus son enfant, qu'il ne sait plus quoi faire, et qui te supplie de le punir autant que tu peux.
- Le parent qui te dit des trucs horribles sur ses mômes du genre "Son frère non plus, c'était pas une lumière, mais au moins il faisait pas chier".
- Le parent qui te dit qu'il sait ce qu'il s'est passé, son gamin lui a tout raconté, et en effet il veut te rencontrer en personne pour parler, parce qu'apparemment tu as collé son enfant alors qu'il n'avait rien fait, et ce uniquement parce que tu le détestes pour une raison inconnue, et que ça c'est inadmissible, d'ailleurs il va te dénoncer au rectorat. 
etc., etc.
Il y a de tout. 
Quand tu convoques les parents d'un élève difficile, tu comprends souvent mieux pourquoi il est comme il est : ils sont parfois tout aussi grossiers, belliqueux et irrespectueux que leur progéniture. Ils sont aussi souvent simplement dépassés, paumés, débordés, pas très présents, pas très doués, pas au courant, démissionnaires, ou encore sévères sans être à l'écoute, froids, pas psychologues pour deux sous, durs, potentiellement violents.
Et dans ces cas là, tu plains les gamins, tu plains les parents, tu plains l'humanité, et en même temps t'as les boules, et t'as la rage, et tu te dis que le monde est irrécupérable.
Tout cela est d'une complexité infinie. 

(Par ailleurs, pour rester dans la thématique des parents d'élèves et de leur rapport aux enseignants, je vous donne le lien de ce fameux article sur les parents d'élèves relou qui a fait le tour des salles des profs).  

Autre épisode de la semaine :
Mardi, le professeur d'allemand s'est fait bordéliser par les élèves dont je suis professeur principale (des 5ème). L'un d'eux a balancé une table par terre en disant aux autres "Venez, on s'y met tous, comme ça il pourra rien dire !!"
Je l'ai appris aujourd'hui, au détour d'une conversation. Rien n'avait été fait. 
Je connais ce gamin. J'ai souvent appelé ses parents dans les deux dernières années, sans grand succès. Ils lui pardonnent tout : tout ce qui les intéresse, c'est qu'il ait 18 en sport. Il veut devenir footballer, il a été repéré par un club, c'est le petit prodige de la famille, il a tous les droits.


Le seul moyen que j'ai trouvé aujourd'hui pour lui faire un peu peur, c'est de lui dire que pour être un bon footballer il faut du sérieux et de la discipline et que s'il a un mauvais dossier qui dit qu'il est ingérable, il aura beau être très doué, on ne voudra pas de lui. Je ne suis pas sûre que ça soit vrai, mais ça semble avoir marché un petit peu. Plus tard, le principal adjoint, que j'étais allée voir pour en parler, l'a convoqué dans son bureau et a menacé d'appeler son entraîneur. Là, ça a marché : le môme était vraiment inquiet.

Seulement, si je n'avais pas décidé d'appeler les parents et de faire quelque chose, il ne se serait rien passé. Pourquoi ? Parce que le prof d'allemand m'en a parlé au détour d'une conversation, uniquement parce que justement je venais de dire que ce môme était pénible. Mais il ne comptait pas écrire de rapport ou informer l'administration.

Pourquoi ? Parce qu'il pense :
1) que ça ne sert à rien (et il n'a pas complètement tort : l'insolence et l'agressivité sont tellement banalisées, on a tellement l'habitude, on sait tellement que les gamins ne seront jamais virés no matter what they do que c'est un peu décourageant). 
2) que ça ne servira qu'à le stigmatiser lui.

C'est un véritable problème. 
En effet, souvent, les profs n'osent pas parler lorsqu'ils se font bordéliser. Que ce soit par un ou par plusieurs élèves. Parce qu'ils vivent ça comme une honte et un échec personnel. Du coup, vu que personne ne parle, tout le monde reste dans son coin, persuadé d'être le seul à avoir du mal à gérer. Et la plupart des profs ne vont même pas dénoncer les élèves à leurs supérieurs parce qu'ils pensent, souvent à raison, que l'administration en déduira qu'ils sont incompétents.
(Et on s'étonne après que les profs aient gueulé quand on a voulu donner les pleins pouvoirs aux chefs d'établissement pour les évaluer : c'est que les profs font rarement confiance à leurs supérieurs hiérarchiques et ont souvent le sentiment désagréable que ces derniers sont là non pas pour les soutenir mais pour les fliquer).
Et c'est un cercle vicieux, car comment l'administration peut-elle savoir ce qu'il se passe dans son collège et arranger les choses si on ne peut pas s'appuyer sur elle de peur d'être jugé ? 



Quand, en janvier, un certain Jules a réellement fait de ma vie un enfer et que j'ai craqué en salle des profs, tous mes collègues se sont exclamés : "Ah Jules, quel emmerdeur, celui là", puis se sont tous mis à raconter des anecdotes aussi atroces les unes que les autres à son sujet. Sauf qu'ils n'avaient jamais rien signalé (parce qu'ils n'avaient pas envie de s'emmerder, parce qu'ils ont l'habitude, parce qu'ils pensent que ça ne sert à rien). 
Du coup, quand je suis allée informer la principale que Jules me manquait de respect jour après jour et que, mes sanctions ne suffisant pas, il allait falloir passer au stade supérieur, elle m'a fait remarquer que personne ne s'était encore plaint de lui à part moi et que le problème venait donc peut-être de moi et d'une éventuelle incapacité de ma part à gérer mes élèves. 
C'est toujours agréable. 
Un gamin m'insulte, mais c'est ma faute parce que ça veut dire que je n'ai pas su lui donner l'envie de ne pas le faire. En gros. (Et donc si on me viole c'est sûrement que j'étais habillée comme une pute, aussi). 

Cela dit, encore une fois, je ne raconte que les trucs durs. 
Qui sont nombreux et épuisants quand ils s'accumulent trop, mais il y a aussi de bons côtés, je tiens à le dire. (Et je ne parle pas que des vacances).
La majorité des élèves sont très mignons et, quand les classes sont bien lunées, c'est un vrai plaisir d'enseigner, de les voir s'intéresser, apprendre, progresser, de les voir lever la main comme des enfants excités et désireux de montrer ce qu'ils savent. C'est gratifiant de les voir bosser, c'est gratifiant de leur être utile, et c'est gratifiant de se sentir appréciée. 
Et puis il y a les élèves qui restent après la sonnerie pour papoter et te donner des bonbons et te raconter des blagues, et les sixième qui chantonnent "Un petit cochon pendu au plafond" à la récré. Ce qui change des troisième qui chantent "Ferme ta gueule de merde toi l'enculé" en plein cours (Je ne dis pas que je ne l'ai jamais chantonnée moi-même gaiement au petit déjeuner avec mon grand frère, en VO - avouez que ça swingue -, mais là n'est pas la question).

Parfois, ce sont d'ailleurs les mêmes qui sont à la fois mignons, attachants et odieux. Des élèves avec qui tout se passe bien d'habitude puis qui un jour font une connerie : alors tu les reprends, voire tu les punis, et là ils partent en vrille : d'abord ils supplient, puis ils te traitent de salope, et te disent que tu sers à rien. (Un peu comme un mec dans la rue qui te dit que t'es charmante puis t'insulte deux secondes après parce que t'as refusé de le sucer). Et le lendemain ils ont oublié. Et ils te disent "Bonjour Madame" en souriant comme si de rien n'était. Ils n'ont pas le sentiment d'avoir fait quoi que ce soit de grave. Pour eux, c'est juste une façon normale de réagir à une contrariété. Parfois ils s'excusent ("J'ai abusé Madame, pardon"), mais restent très désinvoltes. Après tout ils ont simplement traité la prof de salope, y a quand même pas mort d'homme.

Bref.
Voilà pour mes chroniques de jeune prof du Neuf Trois.


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Sinon, pour continuer sur le même thème il y a un appel à la grève générale des profs du 93 le jeudi 13 mars pour demander plus de moyens. Mon collège n'est pas le plus touché - on s'en sort bien - mais ça ne va pas durer éternellement vu le train où vont les choses. Et puis on fait grève pour soutenir les autres établissements. Parce qu'on nous donne à tous, d'année en année, de moins en moins de moyens. 

SAUVEZ WILLY

Petit point "L'Education Nationale Va Mal" pour ceux qui ne seraient pas au courant. 

- Jusqu'à cette année, il existait une soixantaine d'établissements ZEP (sur 120 collèges) dans le 93 : des établissements difficiles qui bénéficiaient de moyens supplémentaires. Cette année, Vincent Peillon a décidé de supprimer les ZEP pour réserver l'argent aux établissements réellement difficiles, qu'il a appelés des REP. Suite à cette réforme, il y aujourd'hui un total mirobolant de six REP dans toute la Seine Saint Denis. REP qui reçoivent finalement à peine plus d'argent que quand ils étaient classés ZEP. Il y aura quelques nouvelles REP créées à la rentrée 2015, apparemment, mais pour l'instant, c'est une cinquantaine d'établissements difficiles qui perdent leurs aides.
Autant dire que c'est un scandale. (Pour information, mon établissement, comme plus de 90% des établissements du 93, n'est, lui, qu'un banal établissement "Prévention Violence"). 
On demande donc plus de moyens pour les établissements difficiles.

- Les dotations horaires des établissements ne font que baisser. Ca veut dire que les écoles peuvent financer de moins en moins d'heures de cours : ciao les cours de soutien en petits groupes, ciao les cours de remédiation pour élèves en difficulté, et surtout, ciao les classes à effectifs vivables. Comme ils ont des dotations horaires de plus en plus ric rac, les établissement ne peuvent en effet financer qu'un minimum d'heures, et donc avoir un minimum de classes. 
Du coup, au lieu de créer des classes afin de répartir les effectifs, ils surchargent les classes qui existent déjà. De ce fait, on se retrouve avec 4 classes à 27 élèves (le maximum prévu par les textes est normalement de 25 élèves par classe) au lieu de 5 classes à 21 ou 22 élèves (ou bien 4 classes de 25 et une classe plus difficile mais à effectif réduit, par exemple), ce qui coûterait plus cher à l'Education Nationale mais changerait la vie des profs et surtout des élèves : tout se passerait mieux, il y aurait moins de problème de discipline, on pourrait davantage se concentrer sur chaque élève et gérer l'hétérogénéité de nos classes (à savoir les différences de niveau des élèves dans une même classe). 
On demande donc - sinon l'augmentation - du moins le maintien des dotations horaires des établissements, qui ne cessent de baisser.

- Ils suppriment des postes, ou n'en créent plus de nouveaux, même quand le nombre d'élèves augmente. Du coup, vu qu'un prof n'est pas censé faire plus de 18h de cours par semaine et que beaucoup sont à temps partiel comme moi parce qu'à temps plein c'est trop dur, il n'y a parfois plus assez de profs pour faire cours à toutes les classes. Alors l'administration rajoute des heures sup' aux profs et/ou engagent des vacataires pour combler les trous : parce que les vacataires c'est cool vu qu'on peut les payer moins et qu'on peut les virer. 
D'une part, ça précarise le métier d'enseignant, et d'autre part, ça implique qu'on engage des profs qui ne sont pas forcément formés, qui n'ont parfois qu'une licence, et qui ne resteront pas - alors que c'est tellement plus facile pour un prof de gérer des élèves quand il les connaît bien et qu'il est dans l'établissement depuis longtemps. Changer sans arrêt, se réadapter à une nouvelle équipe chaque année, surtout en début de carrière quand on manque de repère, c'est atroce. (Les vacataires peuvent rester plusieurs années de suite, cela dit, mais ce n'est pas forcément l'idée). 
Par ailleurs, comme il y a de moins en moins de profs et qu'on surcharge de boulot tous ceux qui sont disponibles - parfois en les faisant bosser à temps plein (18h minimum) sur deux ou trois établissements - il y a de moins en moins de profs pour faire des remplacements et il arrive que des classes n'aient aucun cours d'histoire ou de maths pendant un mois entier. 
On demande donc la création de nouveaux postes.

- Quand j'ai commencé ma carrière, j'avais déjà des élèves plus ou moins "handicapés" (mentaux, j'entends) dans mes classes, à raison d'un par classe environ. Mais ils n'étaient pas seuls : ils avaient des AVS (Auxiliaire de Vie Scolaire) qui venaient en cours avec eux et les aidaient à suivre et à noter leurs leçons. Aujourd'hui, j'ai toujours un élève ayant des "difficultés d'apprentissage" par  classe, sauf qu'il n'y a plus d'AVS. Parce que ça coûte trop cher et puis on n'en trouve plus, il n'y en a pas assez. 
Ces élèves sont des élèves ULIS (Unitées Localisées pour l'Inclusion Scolaires), qu'on est censés intégrer aux classes. Et ils semblent clairement contents d'être là, mais le problème est que je ne peux absolument pas m'occuper d'eux et leur donner un enseignement adapté. Je ne suis pas formée pour ça, et je dois m'occuper de tous les autres élèves, ce qui me prend tout mon temps et toute mon énergie. Par ailleurs on ne me demande même pas de le faire : on ne me demande pas de les noter, vu qu'il est évident qu'ils sont incapables de faire les mêmes contrôles que les autres. Alors je les interroge un peu pour les inclure, et je leur donne les exercices et les contrôles comme aux autres, mais je ne les note pas. Ce qui est dur. J'ai l'impression de les stigmatiser en les traitant différemment des autres, mais ce serait pire de les noter selon le même barème et de leur mettre de mauvaises notes... Ils sont donc là dans la classe sans en faire réellement partie. Ils ne sont pas complètement à l'abandon car ils sont régulièrement réunis tous ensemble (tous niveaux confondus) dans une classe avec une prof spécialisée. Mais tout de même, ce système semble un peu bâtard, et il semble qu'ils ne reçoivent pas toute l'aide dont ils ont besoin. 
Une des raisons de cette grève est donc qu'on réclame des AVS.

- On réclame aussi des surveillants. Mais, à discuter avec les représentants des autres établissements, il semble qu'on nous dise à tous la même chose : que le problème n'est pas le manque de surveillants mais notre manque d'organisation, et qu'on pourrait tous faire plus avec moins si on le voulait vraiment. Les établissements sont même audités, comme des entreprises privées, pour s'assurer qu'il y a un maximum de rentabilité avec un minimum de moyens et pour supprimer toute dépense superflue. Et je ne suis pas contre l'idée de faire des économies là où il y a de l'argent mal dépensé, mais bon, il faudrait quand même penser à arrêter les conneries. 
On nous sert la ceinture sur tous les fronts : on a trop peu de surveillants, les salles sont dégueu parce qu'on a trop peu de personnel pour les nettoyer, la cantine est devenue plus chère mais pas meilleure, la salle de sport est délabrée à un point que vous n'imaginez pas, le lavabo de la salle des profs est un robinet sous une sorte de chauffe-eau apparent comme je n'en ai jamais vu à part en Bolivie, un store sur deux dans les classes est cassé, et on nous tape sur les doigts parce qu'on fait trop de photocopies (c'est un reproche qui nous attend régulièrement en salle des profs, écrit en gros sur le tableau). Comme si on faisait des cocottes en papier avec...

Bref, pour ceux qui le croiraient encore, on ne fait pas grève pour réclamer des privilèges, mais pour demander à pouvoir faire notre métier correctement. 
On ne demande pas de revalorisation de nos salaires. On ne demande même pas le dégel du point d'indice de nos salaires, qui est gelé depuis 2010. (Le point d'indice de nos salaires doit normalement être revalorisé tous les ans pour prendre en compte l'inflation : or, alors que l'inflation continue de progresser, nos salaires, eux, n'ont pas bougé d'un pouce depuis 4 ans - et le dégel n'est pas pour demain). 
Tout ce qu'on demande, c'est plus de moyens (que dis-je, simplement autant de moyens, vu que le problème est qu'on nous prend de l'argent) pour pouvoir faire notre métier correctement, et donner l'éducation de qualité qu'on aimerait pouvoir donner.
Et je pense qu'on est tous d'accord que c'est essentiel pour l'ensemble de la nation. D'autant que cette baisse des moyens concerne tout le monde, aussi bien l'école primaire que la fac, et que si on ne peut plus prendre les élèves en charge dignement en primaire, alors les collégiens seront de plus en plus nombreux à arriver en 6ème sans vraiment savoir lire ou écrire, et ce sera de pire en pire...

Du coup je ne peux pas vous appeler à faire la grève si vous n'êtes pas profs, bien sûr, mais je peux vous demander de nous soutenir, et de faire passer le message autour de vous, afin que les gens sachent un peu quelle est la réalité de notre métier et ce qu'on demande exactement. 
Et non, on n'est pas payés quand on fait grève. 
Et non, on ne va pas faire grève dans nos lits.
(Et pourtant y a plein de bonnes séries à mater, donc vous voyez un peu le degré d'investissement !).

Et comme je n'ai pas trouvé de "Martine manifeste", je vous mets ça à la place :


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Sinon, pour égayer ce post, permettez-moi de vous raconter une blague :

- Qu'est ce qu'un canif ?
- Un petit fien.

De rien.

Et une autre pour la route :
C'est deux vaches dans un pré. (Avouez que ça commence bien).
La première vient voir l'autre et lui dit ;
- Putain je suis pas bien en ce moment... Je suis super angoissée, je me sens mal, je dors plus, ces histoires de vaches folles ça me fait flipper, je te dis pas... Ca te fait pas flipper, toi ?
- Oh, tu sais, moi je m'en fous, je suis un canard. 

Voilà. C'était le mot de la fin.
Bon week-end à tous.

4 commentaires:

  1. ah merci j'avais oublié le "shut your fucking face uncle fucker"... :D
    sinon ton boulot me fatigue rien que de lire ton post... bon courage!

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  2. Très intéressant comme souvent ! Je n'étais pas au courant de cette histoire de REP, notamment (cela donne encore un nouvel éclairage à la polémique de décembre - dont nous avions parlé - où il s'agissait, semble-t-il, de prendre aux classes prépa' pour que des ZEP qui n'existent plus aient plus de moyens. Mystérieux.). Par curiosité : qu'est-ce qu'un établissement "prévention violence" ? Je veux dire : en quoi est-ce que cela consiste exactement ?

    Alors, cette grève ? J'ai cherché des infos dans les actualités google, mais impossible d'en trouver...

    En tout cas n'hésite pas à continuer de dire tout ce que tu dis, les préjugés contre l'enseignement ont vraiment la dent dure et j'ai l'occasion de le constater très régulièrement, même auprès de personnes supposées sensées !

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  3. Merci Marie pour ton commentaire.

    C'est assez mystérieux en effet. Parce que si on voulait déshabiller les prépa pour habiller les ZEP, on déshabille également les ZEP pour habiller les REP, et il semble évident que les REP ne vont pas recevoir tous les vêtements récoltés. J'en déduis que le but de tout ça n'est pas de redistribuer l'argent au mieux mais de faire des économies. Sur le dos de l'éducation, donc. Sur ce coup-là, la France se tire vraiment une balle dans le pied.

    Sinon un établissement APV c'est un peu une sous-ZEP. C'est un établissement reconnu plus difficile qu'un établissement lambda, mais pas trop difficile quand même. Du coup, les profs n'ont pas droit à une revalorisation de salaire et autres aides que je ne maîtrise pas bien comme en ZEP, mais ils ont une bonification de points : ça veut dire que l'année prochaine, après avoir passé cinq ans en poste fixe en établissement APV, je gagnerai 300 points d'un coup, ce qui m'aidera à me tirer de là au plus vite, et peut-être au bout de quelques années de plus à obtenir un poste en lycée. (Quand on sait qu'on ne reçoit que 8 points d'ancienneté par an, tu imagines bien que 300 points d'un coup, c'est jackpot).
    Cela dit, je prie tous les soirs que ça soit maintenu - le rectorat n'avait pas l'air très sûr et attendait que les textes officiels sortent avant de me le confirmer. Ce qui est assez inquiétant quand on sait à quel point cette bonification est mon sésame vers des horizons plus cléments.

    Pour les résultats de la manif j'attends demain pour en savoir plus sur ce qu'il s'est dit au ministère et je vous tiens au courant. (Par ailleurs j'ai effectivement remarqué qu'il n'y avait pas un mot sur cette manifestation sur internet. Pourtant j'ai cherché : je voulais trouver un article à publier sur ma page Facebook pour informer mes contacts. C'est surprenant. On était bien là, pourtant, départ à 14h devant la fontaine Saint-Michel et en marche vers la rue de Grenelle)

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    1. Bon. Il ne s'est tout simplement rien dit au ministère vu qu'ils ont refusé de recevoir une délégation. Du coup rien, niet.

      Manif pour rien, grève pour rien, et en plus de ne pas nous écouter, le Ministère de l'Education s'est fait de la thune sur notre dos : tous ces profs pas payés les jours de grève, à l'échelle de la France, ça doit bien aller chercher dans les centaines de milliers d'euros d'économie en une journée.

      Bref. C'était une petite manif' (on n'était pas nombreux, beaucoup ont fait grève et ne sont pas venus à la manif', d'autres n'ont même pas fait grève parce qu'ils pensent que ça ne sert à rien et qu'ils ne peuvent pas se permettre de perdre de l'argent) et elle a fait peu de bruit.
      Même les syndicats du 93 n'en ont pas suffisamment parlé pour qu'elle soit visible sur internet...

      Heureusement, il y en a une plus grosse le mardi 18 mars, une pour tous les profs de France cette fois ci, et j'espère qu'elle fera plus de bruit !

      En tout cas je vous invite tous à partager ce post et/ou à parler de cette manif autour de vous pour nous soutenir.
      Merci !! Et un bon week-end ensoleillé à tous :)

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