vendredi 6 février 2015

Martine dessine des bites

Ou comment - proposition de sous-titre - Najat a sniffé de la colle. 



 L'Ecole, ce monde merveilleux.
 (Et tout ça, c'est quand même un peu grâce à Carla qui, souvenez-vous, a dit non à l'intimidation).


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Aujourd'hui, dans Metro, mon horoscope annonçait : "Votre réunion professionnelle va être un succès". Il s'avère que j'avais justement une réunion ce matin au collège, vu que la matinée était banalisée pour que nous, les profs, nous nous réunissions tous ensemble pour discuter du nouveau Socle Commun de Connaissances, de Compétences et de Culture qui prendra officiellement effet à la rentrée 2016 et qui, si vous voulez mon humble avis, est une vaste blague et une infâme fumisterie. Mais passons sur mon indécrottable conservatisme de vieille prof réfractaire à la modernité et penchons-nous plus avant, si vous le voulez bien, sur ce beau texte de 19 pages qui nous décrit l'élève tel qu'il doit être à la fin de ses dix ans de scolarité obligatoire - c'est à dire, en gros, (tousse bruyamment) nos élèves dans trois ans
On a ri. (Et on a dessiné des petits coeurs et des petites fleurs roses dans la marge. C'était beau).

Extrait 1 :
"Il a appris à tirer profit et plaisir de ce qu'il lit".
Ce qu'il quoi ?
"Il est habitué à nourrir sa culture par la lecture".
Euh... Je...

Extrait 2 :
"Il utilise à bon escient les règles grammaticales et orthographiques, il emploie un vocabulaire juste et précis (...). Il a pris goût à l'écriture".
Extrait de fiche de renseignement de début d'année :
Quelles sont les matières que tu aimes le moins ? Le Français.
Pourquoi ? Paske sais dure. 

Extrait 3 :
"Sensibilisé à la démarche artistique, l'élève a appris à s'exprimer et à communiquer par l'art".














Extrait 4 :
"Il s'intéresse aux connaissances et met en oeuvre les capacités essentielles que sont l'attention, la mémorisation, la mobilisation de connaissances, la concentration". 

  

Extrait 5 :
"L'élève peut adopter une attitude raisonnée fondée sur la connaissance".














Extrait 6 :
"L'élève exerce les règles de civilité et pratique la bienveillance". (...) Il développe sa capacité à résoudre les conflits de manière non-violente, et sa maîtrise de moyens d'expression, de communication, d'argumentation qui évite le recours à la violence. 
Hier, Kenza s'est amusée à faire tomber la trousse de Yacine en cours. Pour se venger, il lui a balancé son compas à la gueule. Elle a abondamment saigné du nez. Pendant ce temps, Abou coupait discrètement un bout des cheveux d'Hafsatou avec ses ciseaux parce qu'elle s'était retournée pour lui demander de se taire.

Extrait 7 :
"Il se prend en charge personnellement et exploite ses facultés tant intellectuelles que physiques".
L'autre jour, un 4e est entré dans la salle de ma collègue de français en plein cours, il a traversé la pièce, s'est planté devant un élève assis, et lui a mis un coup de boule avant de repartir.

Extrait 8 :
"L'élève accède progressivement à l'autonomie en veillant à la cohérence de sa pensée, à la portée de ses paroles et à la responsabilité de ses actions". 
Cette semaine : 
Moi : Kouakou, il faut que tu arrêtes d'appeler Yaël "Kebab". Ca le fait pas rire, ça le contrarie, tu le vois très bien. Donc arrête.
Kouakou : Mais madame, lui il arrête pas de me traiter de chinois !
Yaël : Mais c'est pas une insulte ! Et il est même pas chinois !

Extrait 9 :
"L'élève dispose d'une culture qui l'aide à connaître et comprendre le monde dans lequel il vit, ainsi que les grands défis de l'humanité".
Un élève de 5ème (en cours, à Eloi 1er) :  "Monsieur, est-ce que sur le site Jackie et Michel on peut trouver des éléments qui nous aident en histoire?" 

Extraits de copies de ses élèves (qu'il publie sur Facebook avec, en commentaire, systématiquement, le même mantra : "Je suis un bon prof d'Histoire, je suis un bon prof d'Histoire, je suis un bon prof d'Histoire...") :






Extrait 10 :
"L'élève sait observer et décrire des phénomènes naturels ; il s'interroge sur leurs causes".
 Comme quand il a un zéro ou qu'un prof le fout à la porte, par exemple ?


Bref. 
C'était sympa, cette petite réunion. On se marre bien, à l'Education Nationale.  
(Bon mais sinon, sans amertume, hein, ça se passe plutôt bien. Je veux dire en dépit des coups de boules en classe, des cheveux coupés, des saignements de nez et tout et tout, ça se passe bien).  

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Sauf que (la minute coup de gueule) :


Ce dont on n'a pas parlé dans les médias, c'est qu'en supprimant les établissements ZEP pour créer des établissements REP, le Ministère de l'Education Nationale a également supprimé les établissements APV. 
Si tu tapes APV sur Google, tu tomberas sur "Alliance Pierres Vivantes", "Association Professeurs de Vente" ou sur le site des "Campings Atlantique Pellerins Vacances", ce qui prouve en effet à quel point les établissements APV (Affectation à Caractère Prioritaire justifiant Valorisation), tout le monde s'en branle. 


Or, moi, je suis dans un établissement APV. 
(La très grande majorité des bahuts du 93 sont APV).

J'en ai déjà parlé : en APV, on n'a pas - comme dans les établissements ZEP - des moyens financiers supplémentaires ou des heures en moins, mais on avait jusqu'ici deux avantages majeurs : 1) la certitude de n'avoir que des classes de 25 élèves ou moins et 2) des bonifications de points (300 au bout de 5 ans dans un même poste, 500 au bout de 8 ans). 
Or, ça, à partir de la rentrée prochaine, on peut d'asseoir dessus. Ce qui veut dire que dès la rentrée 2015 on aura des classes de 26 élèves (c'est officiel, on est prévenu), et que dès la rentrée 2017 on n'aura plus aucun avantage par rapport à un prof qui enseigne dans le 16ème arrondissement, à part bien sûr celui de se faire enculer.



On était pourtant nombreux à avoir organisé notre plan de carrière sur ces points APV. L'idée, c'était que tu passais l'épreuve du feu pendant quelques années mais qu'ensuite t'avais un bagage de points qui te permettait de te barrer et d'avoir de bonnes chances d'obtenir ton voeu de mutation : beaucoup veulent simplement retourner chez eux (moi j'avais demandé à être mutée dans le 93 parce que je voulais rester vivre à Paris, mais beaucoup des profs de l'Académie ont été catapultés ici alors qu'ils ne l'avaient pas demandé et viennent du sud de la France ou d'ailleurs) (oui parce que l'Académie de Créteil c'est là qu'on envoie tous les petits jeunes sans points qui n'ont pas le choix) et d'autres, comme moi, veulent demander un lycée. Le problème, c'est que là on n'a plus qu'un an pour jouer nos points. Or, on n'a pas tous atteint nos 5 ou 8 ans d'ancienneté, et puis on n'avait pas forcément prévu de quitter Paris ou l'établissement l'année prochaine. 
Du coup, on apprécie moyen d'être mis au pied du mur : là, on doit jouer nos points maintenant (ou jamais). Moi, par exemple, mes cours commencent enfin à être prêts, et j'ai beau vouloir aller en lycée, ben je ne serais pas contre rester un peu au collège pour profiter du travail fourni et souffler un peu quelques années avant de devoir recommencer à faire tous mes cours de A à Z pour un public de lycéens. Et puis qui sait, je pensais avoir encore quelques années pour réfléchir et décider si je voulais demander un lycée à Paris ou ailleurs, à Nantes ou à Lyon, dans trois-quatre ans, quand j'aurais accumuler plein de points. Ben ça, c'est mort. 
Et ça fait chier. 



Et donc les classes vont être de plus en plus surchargées (vous n'imaginez pas à quel point un ou deux élèves de plus ou de moins peuvent changer les choses), on va avoir de moins en moins de points, et, de surcroît, on va être de moins en moins "promus" par les inspecteurs : déjà que j'ai des collègues qui demandent à être inspectés depuis cinq ans sans rien obtenir, apparemment les inspecteurs auraient désormais moins de petits points dans leur hotte à distribuer aux profs, ce qui veut dire moins d'avancement. 
Par ailleurs, on a de plus en plus de taf : depuis la rentrée 2014, les surveillants ne sont plus tenus de surveiller les élèves collés : on doit donc les garder nous-mêmes, ce qui veut dire que quand je colle un élève (et je ne vais pas arrêter, c'est un de mes seuls moyens de pression), je dois le garder avec moi, ce qui revient à me rajouter des heures de cours non payées (parce que je ne peux pas avoir un collé dans ma salle en plein cours, y a pas la place et ce serait trop le bordel). 
L'année prochaine, la rentrée a également lieu en fin août, ce qui veut dire que ça y est, les huit semaines de vacances d'été devenues sept semaines depuis quelques années ne seront bientôt plus que six. (Et oui, je sais, vous allez me dire que six semaines en été c'est déjà pas mal, petite pourrie gâtée que je suis, mais bon, moi j'ai fait le choix d'être mal payée mais d'avoir des vacances, j'aimerais bien ne pas être mal payée tout court à la place).

 

















A côté de ça, par contre, on propose de donner des tablettes numériques aux collégiens (non mais ils savent où ils peuvent se les mettre, leurs tablettes numériques ? les mômes passent déjà leurs journées devant des écrans, ils savent déjà pas écrire, et on va investir dans ça au lieu de créer des postes ?) et on trouve les moyens de financer des "Ateliers Personnalisés" obligatoires qui s'avèrent être des cours de danse ou de Rubik's cube... 
Ca me rend ouf. 




Bref, on marche sur la tête.
Ce qui explique peut-être pourquoi, quand je rentre du collège, je prépare mes cours devant Buffy. (Parce que oui, Titiou Lecoq m'a donné envie de revoir l'intégrale). 
Buffy : l'histoire d'une jeune femme dont l'école est située pile sur la bouche de l'Enfer, et qui a pour devoir d'affronter le mal jour après jour pour tenter de sauver l'humanité. 
Ca me parle. 
C'est merveilleux, Buffy. Ca vous réconcilie avec la vie.