Chers lecteurs, je viens de copier-coller ce billet de blog sur OpenOffice pour voir combien de pages il faisait et force est de constater qu'il en fait... dix. Oui, force est de constater bis que je suis une grande malade. Mais vois-tu, j'ai beaucoup à dire (et encore, j'ai essayé de me restreindre !). Prends une grande inspiration (les gazs lacrymo dont tu entendras parler ici ne te feront pas mal aux poumons, seulement à l'éthique), tu t'engages dans une longue lecture. Et j'espère que tu auras la force d'aller jusqu'au bout, même lentement, comme j'ai moi-même atteint lentement l'autre bout du pont d'Austerlitz à la fin, et comme la contestation atteindra peut-être lentement la victoire et le retrait de certaines lois.
1) Les événements du 1er mai 2018 et ce que j'y ai vécu
Cette photo a été prise le 2 mai 2018 au matin sur le pont d'Austerlitz. Le tag, lui, date du 1er mai, pendant la manif. Peut-être qu'il y était déjà quand j'ai passé le pont d'Austerlitz moi-même une première fois avec le cortège, je ne sais pas. Peut-être qu'il y était quand une petite heure plus tard quand j'ai rebroussé chemin, mais là je n'avais aucune chance de l'apercevoir.
Petit récit des événements d'hier :
Hier, avec Tom-Tom, en bons dangereux gauchistes qui se respectent, on est allés manifester.
On est d'abord arrivés à pied à Bastille, où on a été fouillés par des CRS. Ca faisait longtemps. Ca ne m'était plus arrivé depuis la loi travail d'être fouillée comme ça en arrivant en manif (une pratique mise en place à cette époque). Mais apparemment, des rumeurs couraient que les black blocs seraient nombreux pour ce premier mai et que la manif allait être chaude, d'où la nervosité des services d'ordre. Vu le calme des manifs précédentes (et ce en dépit de ce qui a pu être rapporté : je me rappelle avoir vu partout dans les journaux et à la télé le seul pauvre vélo qu'on avait vu brûler le long d'un cortège pourtant tout ce qu'il y a de plus calme), je n'avais pas pensé à prendre mon sérum physiologique et mes lunettes de plongée, je ne m'attendais pas à être gazée violemment. Notons à ce sujet que, fait agréable, les flics cette fois ci ne fouillaient pas les sacs en vue de confisquer les gouttes pour les yeux histoire qu'on en chie un maximum quand ils nous gazeraient la gueule (le sérum physiologique, arme chimique de destruction massive pouvant décimer des milliers de manifestants en deux deux, c'est bien connu)(pour la loi travail, j'ai dû comme tant d'autres aller manifester avec des lunettes de plongée coincées dans la culotte, non mais je vous demande un peu). Les fouilles étaient donc à priori uniquement censées permettre aux flics de saisir les véritables armes potentielles, ce qui en soi à priori est assez appréciable, mais bon, soyons réaliste : quelqu'un qui veut amener une arme à une manif qui va
de Bastille à Place d'Italie a mille façons de le faire, même s'il y a
des flics qui regardent vite fait dans les sacs au niveau du lieu de
rendez-vous une heure avant le départ du cortège ! Donc bon... Et le fait de devoir passer une barrière de flics au compte goutte pour y montrer patte blanche avant d'être autorisé(e) à aller manifester est quand même passablement dérangeant. Mais passons.
On a rejoint des collègues à moi pour aller gueuler contre le démantèlement de l'éducation nationale (entre autres) et on a marché jusqu'à la sortie du pont d'Austerlitz, au niveau de l'entrée du jardin des plantes. Là, il s'est passé ce qu'il s'est passé dans toutes les manifs auxquelles je vais depuis deux ans : le cortège a été arrêté, loin avant d'avoir atteint son point de départ. On a vu au loin des cars de CRS tout au long du boulevard de l'hôpital, on a vu une fumée noire s'élever dans le ciel, on a regardé sur nos téléphones et appris qu'une bagnole brûlait et que le MacDo sur le boulevard avait été attaqué, on a vu des tirs de gazs lacrymo voler dans les airs... on a compris que les festivités étaient terminées, qu'on allait encore une fois devoir se disperser avant d'arriver à la fin prévue de la manif (Place d'Italie) parce que ça dégénérait. Mes collègues sont partis, je suis restée dix minutes de plus avec quelques copains pour voir comment ça évoluait. Dans ces cas-là, on est toujours assez ambivalents parce qu'on veut rester pour voir, pour savoir, pour pouvoir ensuite témoigner, mais le problème c'est que pour être témoin de potentielles violences policières il faut aussi prendre le risque d'en être la victime. On s'est retrouvés dans une foule d'étudiants, essentiellement. J'avais un peu la trouille (je déteste être gazée, je trouve ça super douloureux et anxiogène) mais je suis restée. Parce que j'étais là pour manifester, parce que ça fait chier d'être des milliers à devoir remballer et rentrer chez soi si loin avant la fin de la manif juste parce que quelques crétins ont foutu le feu à une bagnole et jeté des cailloux sur des flics. Donc on était là avec nos pancartes, à attendre que peut-être le cortège reprenne quand les manifestants de devant se sont mis à reculer vers nous pour fuir une pluie de gazs lacrymogènes. Jusque là, rien de bien nouveau, c'est un scénario assez basique de fin de manif (et quand je dis "fin", je veux dire que c'est comme ça que les manifs se terminent, parce que le plus souvent ça a lieu avant que le cortège ait pu atteindre le point géographique de fin de manif prévu initialement): on nous gaze, on se disperse, c'est fini. Sauf que le problème - et c'est un problème auquel on est très nombreux à avoir été confrontés en manif, c'est qu'ils te gazent pour que tu te disperses, sauf que quand ils commencent à gazer ils ont aussi déjà bouché toutes les issues. Ce qui a lieu, dans les faits, est donc qu'assez systématiquement, quand les forces de l'ordre décident que la manif est finie, ils parquent une foule entière de manifestants dans un parcours fermé, sans issue, et ils les gazent. C'est ce qu'il nous est arrivé hier.
Quand on a vu les manifestants rebrousser chemin et courir vers nous avec la tête cachée dans leurs foulards pour se protéger des gazs, on a vite évalué la situation : CRS et gaz lacrymogène devant sur le boulevard de l'hôpital, CRS barrant le passage sur les quais sur notre droite et notre gauche, la seule issue était de repartir en sens inverse en ré- empruntant le pont d'Austerlitz. Sauf qu'une fois sur le pont d'Austerlitz, on s'est retrouvés pris en sandwich parce que des CRS avaient également bloqué la sortie de l'autre côté : on était donc là, sur le pont, entassés, sans possibilité de s'échapper, et on a reçu une véritable pluie de gaz lacrymogène. J'ai sincèrement cru que j'allais mourir. Que j'étais en plein fait divers, en pleine bavure policière dont on parlerait dans les journaux, que j'allais être victime d'une sorte de nouveau Charonne. On ne pouvait plus avancer, on ne pouvait plus ouvrir les yeux, on ne pouvait plus respirer, on était tous dans un état de panique inimaginable. Il y a un mec qui est tombé par terre devant moi : je me suis demandé s'il allait perdre connaissance et être piétiné. J'ai envisagé de grimper sur les gens devant moi comme un animal en quête d'un peu d'air. J'ai envisagé d'escalader les corps pour aller me jeter dans la Seine. Je sais que je ne suis pas la seule à avoir eu l'idée, d'autres l'ont évoqué autour de moi : je ne les voyais pas, je ne pouvais plus ouvrir les yeux, mais j'ai le souvenir diffus de leurs voix. J'ai pensé aux gens dans les tours jumelles qui s'étaient jetés par les fenêtres pour échapper au feu. J'ai stupidement, absurdement crié "Au secours". Je ne sais pas combien de temps ça a duré, peut-être finalement très peu de temps, mais je ne crois pas avoir déjà eu aussi peur de toute ma vie. Finalement la situation s'est lentement débloquée : la barrière de CRS a laissé les manifestants s'enfuir au compte goutte par une micro ouverture sur la droite. On a donc pu finir par partir, passablement traumatisée en ce qui me concerne. Et je me sens un peu con d'en faire tout un plat comme ça parce que je sais bien que je ne suis ni la première ni la dernière à avoir étouffé sous les gazs lacrymogènes en manif et que d'autres ont vécu bien pire, mais en même temps je me dis que je n'ai pas à avoir honte de dire à quel point j'étais secouée parce qu'il ne faut pas banaliser ce genre d'événements, aussi tristement banals soient-ils ces temps-ci (comme le dénonçait déjà Amnesty International l'an dernier). Parce qu'il est profondément anormal qu'on ne puisse plus aller manifester aujourd'hui sans vivre ce genre d'expérience d'une violence inouïe, et qui - non - ne sont pas anodines. Et peut-être que rien de tout cela n'aurait eu lieu si personne n'avait brûlé de voiture, mais ça n'est pas certain (j'ai déjà été copieusement gazée lors des manifs contre la loi travail alors qu'il n'y avait aucun débordement), et quoi qu'il en soit putain les ripostes policières sont quand même salement disproportionnées. Et quand on me retient prisonnière comme ça dans un lieu confiné pour me gazer alors que je ne représente aucun danger, ni clairement aucune des personnes autour de moi, je ne peux pas m'empêcher d'avoir le sentiment qu'on me punit d'avoir manifesté. Quand on sait le nombre de flics en civil qu'il y avait dans le cortège (les RG super costauds, en noir, avec leurs oreillettes au milieu des manifestants, on les repère assez facilement, même si parfois ils font semblant d'être des "totos" en se cachant le visage avec un foulard), j'ai du mal à croire que les quelques personnes qui ont brûlé des voitures et saccagé le MacDo n'aient pas du tout pu être appréhendés par tous ces CRS et que ces derniers aient été purement et simplement "obligés" de, dans le doute, s'en prendre à tous les manifestants encore présents sur les 500 premiers mètres du cortège... Les flics ont arrêté plus de 200 personnes, comme on l'a tous lu, mais je peux vous assurer que parmi ces personnes il y avait beaucoup de lycéens, notamment des lycéens de mon lycée, et que ce ne sont pas de "dangereux casseurs". Ils m'ont raconté que les flics n'avaient gardé que ceux qui avaient déjà un casier. (En quoi le fait d'avoir un casier prouve que tu as réellement dégradé quelque chose lors de la manif et ne pas en avoir prouve que tu n'as rien dégradé, c'est un mystère pour moi, mais bon). Une info démentie cependant par plusieurs témoignages sur internet, où des manifestants anonymes disent avoir passé 24h dans des cellules dégueulasses sans pouvoir joindre leurs proches et sans avocat et ont dû donner leurs empreintes et leur ADN alors que rien ne justifiait qu'on les retienne. J'aimerais vraiment beaucoup avoir un moyen de savoir ce qu'il s'est réellement passé : qui a été arrêté, comment, pourquoi, qui a été retenu, dans quelles conditions et pour quelles raisons. Qui sur les personnes arrêtées avait réellement quelque chose à se reprocher...
Bref, une répression policière flippante. Mais je fais ici comme trop de médias : je parle depuis le début des "casseurs" et des violences policières alors que je devrais parler de la raison pour laquelle les gens manifestaient hier. Et de la raison, plus spécifiquement, pour laquelle moi, je manifestais. Mais avant ça je voudrais qu'on revienne un peu en arrière.
2) Sur pourquoi j'ai pleuré à une manif du mois de mars, et sur mon engagement politique de ces derniers mois. (Je mets engagement politique car je n'ai rejoint aucun parti, juste tenté de militer à ma façon pour ceux en quoi je croyais) (Spoiler : je vais parler en vrac de la montée de mon sentiment de révolte, de la réforme du bac, de l'inertie des gens, de mon sentiment d'impuissance, de "Macron et son monde").
Avant les vacances de Pâques, il y a de ça deux semaines, j'ai pleuré pendant la manif.
Je me suis mise à pleurnicher à chaude larmes sous ma pancarte.
Quand je pense que ma pancarte c'était ça (ci-dessous)(ouais, je sais, ça frime), je me dis que ça aurait donné une jolie photo, dans le genre mise en abîme. Mais bon.
Et je n'ai pas pleuré parce que j'avais été gazée ou parce qu'un vilain policier avait été méchant avec moi. J'ai pleuré parce qu'on était trop peu nombreux et que j'avais un terrible, terrible sentiment de fatigue, de frustration et d'impuissance.
Mais pour vous expliquer ce craquage, revenons encore plus loin en arrière, il y a disons quatre mois.
Je me souviens très bien de ce jour, en début d'année, où je suis arrivée chez ma psy pour lui dire que ça n'allait pas du tout depuis quelques jours, plus exactement depuis que j'avais appris qu'il y allait y avoir la réforme du lycée et du bac. Que j'avais un sentiment à la limite du sentiment de persécution. Que les sentiments d'injustice et d'impuissance qui m'assaillaient étaient à la limite du supportable.
Ca fait des années que je suis prof et des années que je constate dans quel sens vont les réformes. Je vois les suppressions de postes, de classes, la baisse du personnel toujours plus débordé (infirmières - oui ce sont toujours des femmes -, assistants d'éducation, CPE, personnel de cantine...), etc, etc. Je ne vais pas rentrer dans tous les détails mais sachez que depuis trois ans que je suis prof en lycée, je passe plusieurs mercredi après-midi par an à aller crier devant le rectorat avec des collègues pour réclamer qu'on ne ferme pas une classe ou qu'on nous donne une infirmière (une seule) pour nos 1000 élèves ou encore qu'on nous donne du personnel en plus pour la cantine histoire que les mômes puissent manger pendant leur heure de déjeuner au lieu de seulement faire la queue avant d'aller direct en cours parce qu'ils n'ont pas eu le temps d'atteindre la bouffe (véridique). Très souvent, on y croise d'autres bahuts qui font comme nous. Vous trouvez ça normal ? Moi pas.
Sachez que cela fait dix ans que j'enseigne et que pourtant ma note pédagogique n'a pas augmenté, alors que ma dernière inspection s'est très bien passée. Pourquoi ? Parce que monter ma note pédagogique serait revenu à booster mon avancement sur la grille des salaires et que ça, ça coûte trop d'argent et que donc ça fait un moment que ça se fait un minimum. Et vous savez combien de temps j'ai attendu mon rapport d'inspection ? Deux ans. Oui oui vous avez bien lu : deux ans. Et pendant ces deux années j'ai réalisé que j'avais eu de la chance : avoir vu ma note stagner ne faisait pas de moi une paria mais au contraire une privilégiée vu que tous mes potes ayant été comme moi inspectés pour la première fois depuis leur concours avaient vu leur note carrément baisser. Baisser !! Je vous explique : la note pédagogique avec laquelle tu commences ta carrière est définie par ta note au concours, donc ceux qui ont brillé au CAPES ou à l'Agrégation ont au départ une meilleure note que ceux qui ont obtenu des résultats moyens. Plus tard, quand tu es inspecté(e) dans ta classe en tant que prof pour la première fois, on augmente ta note plus ou moins selon ta performance. Eh bien non seulement ces dernières années on inspectait les profs de moins en moins et on leur donnait à cette occasion un minimum de points supplémentaires (tout ça pour faire des économies, vous l'aurez compris), mais en plus on s'est mis à rétrograder les jeunes profs ! Les arguments donnés à mes collègues rétrogradés ? La note qui leur avait été donnée après le concours était trop élevée. Alors ça sert à quoi de briller au concours ?? Vous imaginez le truc ? Tu passes ton concours, tu bosses super dur pendant cinq-six ans, puis un jour quelqu'un vient dans ta classe une heure et te dit que, vu que c'était pas parfait, non seulement on ne va pas faciliter ton avancement professionnel mais on va le ralentir ? Bonjour la reconnaissance pour tout le travail fourni... Avec le gel du point d'indice, la CSG qui fait baisser nos salaires, notre avancement très ralenti, et le boulot qui devient de plus en plus difficile notamment parce que les écoles manquent de personnel, ça commence à faire beaucoup.
Bref, les agents de la fonction publique (profs, infirmiers, cheminots, et autres) sont face à cette situation qui mène si souvent au burn out : 1) ils ont un réel désir de bien faire leur travail mais sont mis en échec par des conditions de travail dégradées et en souffrent (pensez par exemple à toutes ces infirmières qui voudraient être plus présentes auprès de leurs malades...) 2) il y a un profond déséquilibre entre les efforts fournis et la reconnaissance obtenue de la part de l’employeur ou du supérieur immédiat (salaire, estime, respect, etc.). Les agents de la fonction publique ne sont pas les seuls, bien sûr, et c'est important de le noter : les travailleurs dans le privé prennent hyper cher aussi, et depuis plus longtemps car c'est évidemment dans le privé qu'a commencé cette vague de précarisation généralisée qui a depuis atteint le public.
Mais revenons à mon rendez-vous chez le psy : il y a eu une semaine où la situation politique a fini par réellement me miner psychologiquement. (Et je parle de la situation politique car j'ai beau insister sur l'école parce que j'y travaille, je suis de très près la politique mise en place par Macron, de même que j'ai suivi celle de ses prédécesseurs, et je suis écoeurée par bien plus que simplement les réformes qui touchent l'école). Cette semaine là, donc, j'ai eu un sentiment de ras-le-bol, de dégoût, d'injustice, de désespoir difficile à étouffer. Et j'ai parlé à ma psy de ce sentiment insupportable d'impuissance qui m'animait quand je constatais l'inertie invraisemblable des gens autour de moi, leur résignation. On a décidé ensemble, ma psy et moi, que je devais agir pour balayer le sentiment d'impuissance et, sait-on jamais, obtenir des résultats au passage.
Alors déjà, pour commencer, je me suis mise à essayer de sensibiliser mes proches aux problèmes qui me semblaient importants via Facebook. Entre autres, j'ai publié ce très long message que je vous invite à lire si jamais vous êtes un peu à la ramasse sur Parcoursup et la réforme du bac :
"Pourquoi nous sommes en grève le 22 mars (et je ne parle que de ce qui ne va pas dans l'Education Nationale, sachant que clairement ça va mal dans les autres services publics, qui sont eux aussi appauvris depuis des années et ne marchent plus que cahin-caha grâce à la bonne volonté de leurs agents) (A ce propos, Emma s'est d'ailleurs chargée de parler du statut des cheminots, merci mille fois à elle. Moi je vais tenter d'expliquer ce qu'il se passe à l'école - même si bon, il va sans dire que mon audience est moindre, c'est le moins qu'on puisse dire).
Il y a de plus en plus d'élèves dans le secondaire (à cause du boom démographique, comme je l'expliquais dans un précédent post, le nombre d'élèves dans mon lycée est passé de 750 à 1200 en cinq ans). Ces nouveaux élèves ont besoin de professeurs pour leur faire cours. Or, le gouvernement supprime des postes en masse depuis des années, et ça s'accélère. Qu'est ce que ça veut dire ? Ca veut dire qu'il y a de moins en moins de profs et que les classes sont de plus en plus surchargées, d'une part, mais surtout que pour pallier la pénurie de fonctionnaires qu'il a volontairement créée, le gouvernement, en plus de nous faire crouler sous les heures sup', recrute des contractuels : des gens recrutés chez Pôle Emploi, qui n'ont pas forcément une formation adéquate pour enseigner la matière qu'ils viennent enseigner et n'ont pas été formés pour ça. Ca entraîne que 1) les profs devant les élèves sont moins formés et potentiellement (même si évidemment ça ne va pas forcément ensemble) moins compétents et que 2) il y a un nombre grandissant de profs mal payés, facilement virables et qui n'osent pas manifester pour se plaindre de leurs mauvaises conditions de travail parce qu'ils ont peur pour leur emploi. Car c'est l'idée : remplacer petit à petit les profs fonctionnaires, certes formés mais pas pratiques parce qu'ils sont trop protégés par leur statut de fonctionnaires, par des contractuels précaires, mal payés, dont on fera ce qu'on veut. Nos représentants syndicaux nous ont donné hier des chiffres qui font frémir : notre lycée à lui tout seul a demandé l'ouverture de pas moins de 15 postes (occupés actuellement par des contractuels) pour la rentrée prochaine, or, le rectorat a décidé de nous en donner... un. Et c'est pareil dans tous les bahuts du Val de Marne, voire pire. Car - un chiffre qui résume bien - le poste qu'on nous donne fait partie des HUIT postes seulement créés dans le Val de Marne pour la rentrée prochaine, en collèges et lycées, toutes matières confondues. Huit.
On manque aussi de CPE (2 CPEs pour 1200 élèves, je vous laisse faire le calcul), de surveillants, d'agents de cantine (nos élèves font parfois la queue trois quart d'heures alors qu'ils ont une heure pour manger, on a gueulé comme des fous pour avoir du personnel en plus, on a fait grève et perdu de l'argent pour ça, les mômes ont fait un blocus... et rien, niet, zéro). Bref, le temps n'est pas à la création de nouveaux fonctionnaires.
Pour les Terminale de cette année, tous les profs sont largués : ils sont censés les préparer pour Parcoursup mais personne ne comprend rien, tout est fait à la va-vite, les infos ne circulent pas, c'est un bordel innommable, et qui va payer les pots cassés de cette réforme imposée avant même d'avoir été votée, ce qui rappelons le est tout bonnement illégal ? Nos élèves.
La réforme du lycée, derrière tous les beaux discours, revient à un truc assez simple : faire des économies en supprimant le nombre d'heures de cours des élèves (car dans les faits, les élèves auront moins d'heures de cours)(C'était d'ailleurs pareil pour la réforme du collège). Ca veut dire que des postes vont sauter : les profs de SES et de philo sont par exemple particulièrement visés car ils auront beaucoup moins d'heures de cours qu'avant. Ils deviennent quoi ? S'ils sont titulaires d'un poste fixe dans un établissement mais que l'établissement n'a plus assez d'heures de cours à leur faire faire dans leur matière, ils font quoi ? La réponse peut se trouver dans les nouvelles matières inventées qui seront enseignées dès l'année prochaine et dont les intitulés ne correspondent à aucun concours. Car si aucun concours spécifique ne correspond à leur enseignement, alors un peu tout le monde peut les enseigner, non ? Pratique, ça, les nouvelles matières qu'on peut refiler à n'importe qui, pas comme ces matières d'avant comme les maths ou l'histoire auxquelles correspondaient un CAPES ou une agrégation précise ! Ils pourront aussi faire de "l'orientation". Oui parce que les conseillers d'orientation c'est fini, maintenant c'est les profs qui le font et on va devoir en faire 2h par semaine (qu'est ce que tu racontes aux élèves deux heures par semaine à propos de l'orientation, c'est une grande question. Tu les emmènes visiter des entreprises, j'imagine).
Le bac, précédemment national et anonyme, ne le sera plus. Encore aujourd'hui, les terminale passent dans leurs filières des épreuves qui sont les mêmes pour tous les terminale de France, et leurs copies anonymes sont notées d'après des grilles de notation et des fiches de correction très précises qui sont les mêmes à travers tout le pays. Dès 2020, les élèves passeront un nouveau bac, dont 40% sera noté en contrôle continu, dans leur établissement. Ca veut dire que dès 2020, tous les bacs ne se vaudront plus, car leur valeur dépendra de l'endroit où ils auront été obtenus. (Ce qui facilitera la sélection à l'université, sélection mise en place avant toute chose pour faire des économies, ça on a tous bien compris) (et à ce propos j'espère que tout le monde a également bien compris que la sélection à l'université allait forcément entraîner une augmentation des frais d'inscription, tout en ouvrant des marchés au privé qui récupèrera tous les élèves qui n'auront pas eu de place à la fac : jackpot).
Autre problème : les épreuves du bac seront désormais organisées dans les lycées, par les profs, pendant l'année scolaire, ce qui leur enlèvera du temps sur leurs heures d'enseignement déjà tronquées, car organiser des épreuves, ça prend un temps fou. On peut vous le dire, on organise un bac blanc en février tous les ans, qui nous fait perdre une semaine de cours (même si évidemment ça n'est pas du temps perdu, c'est important de préparer le bac blanc) et nous oblige à prendre beaucoup d'heures pour préparer les sujets, les corrections, nous organiser. Mettre en place le contrôle continu au bac, c'est obliger les profs à organiser plus d'épreuves en cours d'année, et ce sur les trois années de lycée (car c'est ça qui s'organise), ce qui fera qu'il seront encore moins devant les élèves et que quand ils le seront, ce sera davantage pour préparer les élèves à l'épreuve à venir, ce qui réduit leur liberté pédagogique et leur temps réel d'enseignement du contenu (mais le contenu pédagogique est clairement le cadet des soucis de ceux qui veulent cette réforme). (Ca revient aussi à ne plus payer aucun prof pour la correction des milliers de copies de bac qui se fait aujourd'hui en juillet et était jusqu'à aujourd'hui rémunérée. Un détail qui prouve simplement qu'encore une fois, tout est organisé pour gratter du pognon partout. Savez vous que le budget de mon lycée est si ric-rac que je n'ai droit qu'à 4 feutres par an, un noir un vert un rouge un bleu, et que l'intendance le note dans un cahier dès que je demande une cartouche neuve pour ces feutres ?).
Je pourrai ajouter beaucoup de choses, mais je trouve que c'est déjà pas mal, et puis j'attends d'avoir des chiffres précis pour ne pas parler dans le vide, ce qui est difficile car il faut vraiment faire des recherches poussées pour comprendre réellement ce qui est en train de se passer, or là j'ai des copies à corriger et des bulletins à remplir par dessus la tête (d'ailleurs je ne devrais même pas être en train d'écrire ce post), donc j'ai pas le temps.
En tout cas j'espère vous avoir un peu éclairés, car je me rends compte quand je parle aux gens autour de moi qui ne sont pas profs que personne n'a la moindre idée de ce qui se passe. Ils ont vaguement entendu parler de Parcoursup, mais c'est tout. Mais l'école nous concerne tous : pas seulement moi parce que je suis prof, pas seulement certains d'entre vous parce qu'ils ont des mômes, pas seulement mes élèves parce qu'ils sont élèves. Et si jamais vous tentez de vous informer en écoutant Blanquer à la télé eh ben c'est triste à dire mais ce n'est pas là que vous aurez les infos. Parce que c'est de la com', du vent. Ils vous diront le nombre de postes qu'ils créent, par exemple, sans vous dire combien ils en suppriment à côté ni combien il en faudrait vraiment (et la réponse est beaucoup, beaucoup plus). Du coup s'il vous plaît, si jamais vous voulez vous faire une idée et en parler, interrogez comme l'a fait Emma ceux qui sont sur le terrain et savent vraiment ce qui va changer dans leur métier au jour le jour et ce que ça implique. Ne faites pas comme un copain qui, il y a quelques années déjà, m'a dit "Tu es contre la réforme du collège ? Mais je ne comprends pas, la ministre a dit que c'était une réforme pour que les élèves réussissent mieux au collège, non ? Tu es contre le fait que les élèves réussissent mieux au collège ?"
Mais la plupart des mes amis Facebook ne l'ont pas lu. (Et j'imagine que beaucoup de mes lecteurs ici ont déjà décroché parce qu'ils en ont marre que je parle de tout ça, ils préfèreraient quand j'écrivais des trucs plus légers et plus fun - et je les comprends, hein). Ou du moins, pour ceux qui l'ont lu, ont peu réagi. Je sais bien qu'il n'y a pas forcément grand chose à dire, mais j'avoue que c'est parfois difficile d'avoir le sentiment de prêcher dans le désert.
J'ai publié beaucoup de statuts Facebook assez engagés, avec des chiffres, des infos, sur les réformes, sur les manifs à venir... j'ai eu peu de retour. Et pas parce que les gens avec qui je suis amie sur Facebook n'étaient pas actifs sur le site à ce moment-là, parce que j'ai eu amplement l'occasion de constater que tout en ignorant superbement mes statuts, ils likaient copieusement des vidéos de chats et autres photos de vacances...
C'est dur de tenter de s'engager parce qu'une fois qu'on a décidé de se bouger le cul, on se rend compte que la première chose à faire c'est de convaincre d'autres personnes d'en faire autant, et c'est là que le bas blesse. Parce que comme je le disais, les gens autour de moi, même quand ils sont au courant des réformes et les condamnent, ne font rien. Exemples de ce qu'on a pu me dire : "Mais ça ne sert à rien de faire grève, quand on fait grève on leur donne juste de la thune vu qu'ils ne nous payent pas et ignorent nos revendications de toute façon", ou "Je ne vais pas à la manif, y'aura personne". Mais évidemment qu'il n'y aura personne si tout le monde se dit ça !!! Evidemment que les manifs n'ont aucun poids si personne ne vient !!! Putain mais réveillez vous, les gens !!!
On m'a dit "Non je ne me suis pas renseigné sur les réformes, j'ai arrêté de lire les journaux, tu devrais en faire autant, tu te fais du mal". C'est ce que j'ai beaucoup entendu ces derniers mois où j'ai essayé de m'engager : "Ca ne sert à rien" et "Tu te fais du mal". En gros, donc, on m'a dit de renoncer. D'arrêter d'être indignée et de tenter de changer les choses. On m'a dit de me concentrer sur moi, d'arrêter d'essayer d'informer les gens, d'arrêter d'aller dans des AGs, d'arrêter d'aller tracter, d'arrêter de lire les journaux pour essayer de comprendre vraiment toutes les politiques du gouvernement, mais plutôt de passer le week-end tranquille à regarder des séries avec mon mec. Résumons : s'occuper de politique ne sert à rien vu qu'on n'a la main sur rien et qu'on sera toujours ignorés et donc tout ce que tu fais en lisant les journaux, en faisant grève et en allant en manif c'est te faire du mal pour rien. Comme si je décidais moi-même de me jeter la tête la première contre un mur et que mes proches me conseillaient d'arrêter et de laisser tomber parce que qu'ils savaient que je ne ferais jamais mal au mur et que tout ce que j'arriverais à faire, c'est me blesser. Et je me suis blessée, oui. Ils ont raison. Mais ce qui m'a blessée le plus directement, je crois, c'est eux.
Un bref historique de mon "engagement politique" :
J'ai voté très tard parce qu'après mes 18 ans je ne me sentais pas légitime à voter, et je préférais laisser ça à ceux qui y comprenaient quelque chose. Je partais du principe que les autres savaient mieux que moi. J'ai commencé à lire les journaux très tard, aussi, parce que j'ai longtemps pensé que c'était tellement compliqué que je n'arriverais jamais à tout comprendre, à rattraper mon retard informatif. Mais j'ai fini par m'y mettre et c'est vrai que depuis, il m'est difficile de comprendre ceux qui font comme moi il n'y a pas si longtemps et laissent le monde se faire sans eux. Il m'est difficile d'accepter que certains de mes proches, que j'aime, ne "s'informent" que grâce à BFMTV ou au Petit Journal. Il m'est difficile à accepter qu'une amie à moi me dise que ce n'est pas normal que les cheminots touchent encore la prime charbon et que donc elle soutient la réforme de leur statut quand je sais que la prime charbon a été supprimée dans les années 70 et que quiconque s'informe un minimum et lit autre chose que la propagande minable du gouvernement sait que le seul et unique but de la réforme de la SNCF est de précariser le statut des cheminots et d'ouvrir la SNCF à la privatisation. Il m'est difficile à accepter que tant de mes collègues et ami(e)s refusent de faire grève parce qu'ils ne veulent pas perdre d'argent (putain mais qui n'a pas 100 euros à sacrifier pour ses idéaux ???), et ne viennent même pas manifester les jours fériés ou le samedi après-midi parce qu'ils préfèrent aller pique-niquer au parc. Le Canard Enchaîné disait qu'Edouard Philippe comptait sur les égoïsmes individuels pour tuer le mouvement de contestation sociale et Edouard Philippe a en effet bien raison de compter dessus : force est de constater qu'à de rares exceptions près, tous mes amis préfèrent regarder des séries et partir en week-end en amoureux plutôt que de s'informer et de prendre quelques heures par-ci par-là pour tenter de faire barrage à un projet de société dégueulasse. Je sais que ça coûte cher de faire grève et que c'est plus facile pour certains, bien sûr, mais il faut voir the bigger picture : tu perds de l'argent aujourd'hui pour que toi et tes pairs ne vous fassiez pas complètement entuber le reste de votre vie, moi ça semble plutôt réglo comme deal. Ca peut ne pas marcher, certes. Mais vous savez ce qu'on dit : 100% des gagnants ont tenté leur chance.
Enormément de profs se plaignent de ce que les syndicats ne sont pas assez combatifs et que les grèves sont éparpillées, et donc n'en font aucune. Ca n'a aucun sens. Le mouvement de contestation est trop mou alors je ne le rejoins pas ? Les actions sont trop rares donc je ne les soutiens pas ? Putain mais qu'ils aient au moins le courage de dire qu'ils ont simplement la flemme d'aller manifester et qu'ils préfèrent garder leurs 60 euros pour se payer un escape game ! Enormément de profs sont surtout complètement désinformés. Ils ne se posent même pas la question de savoir si aller en manif fonctionnent parce qu'ils ne savent même pas qu'il y a des manifs. Tant de gens sont complètement dépolitisés et ne savent de ce qu'il se passe dans le monde que ce qu'ils entendent au journal de 20h, et encore. J'ai une amie qui ne savait même pas qui était François Ruffin, et un collègue qui ne savait même pas qui était Vidal...
Ca me rappelle ce jour où j'ai publié un statut Facebook dans lequel j'informais les gens sur les CP à 12. En effet, alors que le gouvernement faisait une com' d'enfer sur la mise en place de classes de CP à 12 élèves seulement dans les établissements REP+, je tentais d'informer que le revers de la médaille était que les profs supplémentaires pour assurer ces cours à petits effectifs n'étaient pas créés mais retirés aux autres écoles n'étant pas classées REP+, voire dans les autres classes des écoles classées REP+, où la situation allait donc encore se dégrader, et qu'il s'agissait donc de déshabiller Pierre pour habiller Paul (et de faire une méga pub sur les nouvelles fringues de Paul tout en balayant Pierre sous le tapis). Une amie a commenté en disant : "Hein ?? Et ça passe comme ça sans que personne ne dise rien, ce genre de choses ???". Ben oui. Et j'ai eu envie de lui dire que ça passait notamment à cause de gens comme elle, qui ne s'informaient pas et donc permettaient au gouvernement de passer ce genre de mesures sans aucun problème. Je ne l'ai pas fait parce que ça aurait été injuste, d'une part, et puis parce que ça ne sert à rien d'agresser les gens, et qu'ils réagissent très mal à la culpabilisation. Je l'ai beaucoup entendu dernièrement, et je le sais : les gens n'ont pas envie de se confronter à la violence du monde en rentrant du boulot, ils ont envie de se détendre, de se divertir, et ils ont un droit inaliénable à ce moment de réconfort et nul n'a le droit de le leur retirer. Et je suis d'accord avec ça, évidemment. Mais il doit bien y avoir un juste milieu. Vous vous rendez bien compte que si plus personne ne s'informe, si plus personne n'est politisé, si la majorité de la population se contente de gober ce que lui raconte BFMTV sans se poser de question avant de passer à autre chose, alors la démocratie est en danger ?
Dans une vidéo que j'ai regardée récemment, une étudiante interviewée disait "Avant, j'étais apolitique... donc de droite". Etre apolitique aujourd'hui, c'est effectivement être de droite, car cela revient à ne pas se mobiliser contre "Macron et son monde" et tout ce qu'il a de dégueulasse. Quand Nicolas Demorand dit sur France Inter que la plupart des Français soutiennent Macron, je pense très sincèrement comme Ruffin qu'il a tort et que, comme Ruffin le dit, c'est simplement que la plupart des gens qui ne soutiennent pas Macron ne l'expriment pas, parce qu'ils pensent que ça ne sert à rien, qu'ils ne peuvent rien. J'ajouterais que pire, beaucoup de gens soutiennent Macron indirectement en ne se renseignant pas du tout sur ce qu'il fait pour vérifier s'ils sont d'accord avec sa politique, ce qui revient à lui donner carte blanche par paresse. Il y a évidemment des gens qui savent exactement ce qu'il fait et le soutiennent quand même, mais n'oublions pas que seuls 18% de la population inscrite sur les listes électorales a voté Macron au premier tour, et encore beaucoup de ces gens là ont voté pour lui par calcul, comme mon père, parce qu'ils pensaient que seul lui avait une chance contre Fillon ou Marine Le Pen. Au 2ème tour, ce ne sont que 43% des inscrits, même pas la moitié, qui ont voté pour lui, et ils sont très nombreux comme moi à l'avoir fait parce qu'ils n'avaient vraiment pas le choix. Pareil aux législatives : ce ne sont que 16% des inscrits qui ont voté pour la République en Marche. Moi je dis que ça devrait le pousser à l'humilité, pas à l'autorité. Or, le mépris qu'il affiche pour les gens, nombreux, qui s'opposent à sa politique est sans détour.
J'ai perdu beaucoup d'argent ces derniers mois parce que j'ai fait toutes les manifs. TOUTES. Pas une, pas deux : toutes celles auxquelles j'étais appelée pour dénoncer la casse des services publics généralisée et la libéralisation éhontée de notre économie. Parce que je me serais sentie vraiment trop nulle, trop merdeuse, trop minable, de ne pas agir quand j'en avais l'occasion, de ne pas aller gueuler, brandir ma banderole et parler aux journalistes dès que c'était possible. Parce que je ne veux pas qu'on puisse dire que le mouvement s'épuise, que les contestataires renoncent, ou du moins si on l'entend dans les médias je veux pouvoir me regarder dans la glace le matin et me dire que ce n'est pas à cause de moi qu'ils le disent. Je veux être là auprès de mes collègues qui s'impliquent, parce que je refuse d'être de ceux qui laissent les autres manifester à leur place. Je me sens coupable de louper des cours, mais je me sentirais encore plus coupable de ne pas manifester, parce que ça me semble beaucoup plus important que quelques cours loupés. Parce que je refuse de croire, comme tous ces gens, qu'on ne peut rien contre le gouvernement - qui pourtant est censé nous représenter ! - et contre le système libéral qui s'est installé, lentement mais sûrement, ces dernières décennies. C'est le fameux "There is no other alternative" de Thatcher que tout le monde accepte parce que 1) on le leur a tellement répété, sans donner la parole aux voix dissidentes, qu'ils ont fini par y croire comme à une vérité scientifique, et que 2) ça les autorise à ne rien faire sans trop culpabiliser.
"Un discours nous est imposé comme étant le seul possible : plus de revenus pour les multinationales, plus de dividendes pour les actionnaires, moins de fond pour les services publics, et moins de droits pour les travailleurs." (Alain Deneault, philosophe)
Quand les gens disent qu'on ne peut rien contre le capitalisme sauvage et le libéralisme mondialisé, ça me fait toujours penser aux Raisins de la Colère. Une citation du bouquin : "Il se trouve que chaque homme hait ce que la banque fait, et cependant la banque le fait. La banque est plus que les hommes, je vous le dis. C'est le monstre. C'est les hommes qui l'ont créé, mais ils sont incapables de le diriger." (Un très beau livre. Je vous le conseille). Une autre citation parlante : "La terre s'accumulait dans un nombre de mains de plus en plus restreint ; l'immense foule des expropriés allait grandissant et tous les efforts des propriétaires tendaient à accentuer la répression. Afin de protéger les grandes propriétés foncières on gaspillait de l'argent pour acheter des armes, on chargeait des indicateurs de repérer les moindres velléités de révolte, de façon que toute tentative de soulèvement pût être étouffée dans l'oeuf. On ne souciait pas de l'évolution de l'économique, on refusait de s'intéresser aux projets de réforme. On ne songeait qu'au moyen d'abattre la révolte, tout en laissant se perpétuer les causes de mécontentements." Envoyer les CRS dans les facs, intimider les "agitateurs" comme Gaël Quirante, gazer les gens en manif, ne parler que des "casseurs" et passer sous silence le plus possible les revendications des manifestants, les discréditer dès qu'on en a l'occasion (les profs sont rétrogrades et refusent tout changement, les cheminots "prennent le pays en otage" pour s'accrocher à leurs petits privilèges illégitimes, etc.), donner beaucoup plus la parole à leur détracteurs... c'est le moyen du gouvernement et de trop de médias pour lutter contre le mécontentement croissant d'une partie non négligeable de la population.
Mais n'oublions pas que dans ce bouquin il y a d'autres citations comme par exemple celle-ci : "La seule chose qu'il faut voir, c'est que chaque fois qu'il y a un pas de fait en avant, il se peut que ça recule un brin, mais jamais d'autant. Ca montre qu'il n'y a rien de gaspillé, en fin de compte, malgré que des fois on pourrait croire le contraire." C'est ce que me disait un collègue l'autre jour : que même si on arrive à ne faire retirer aucune loi (et on sait que c'est possible : regardez la loi travail), on n'aura pas tout perdu parce qu'on se sera rencontrés, déjà, nous les enseignants, étudiants et parents d'élèves informés et désireux de faire bouger les choses, et on aura appris. Parce qu'on tâtonne mais on aura appris comment on fait pour organiser des AGs, essayer d'informer et de mobiliser les gens (par des tracts, des articles dans la presse, des événements voyants comme des nuits des écoles), comment on fait pour bosser avec les syndicats, comment on fait pour réunir du monde et le faire savoir. Et ça, ça n'est pas perdu. C'est comme le vélo : c'est quelque chose qui ne s'oublie pas. Et on a appris aussi qu'on était nombreux à vouloir agir et à ne simplement pas savoir comment. Et pour ça, pour apprendre à s'unir et à s'organiser, il faut du temps. Et les gens endormis peuvent encore se réveiller si on arrive à les informer et à attiser leur indignation, une indignation plus forte que l'envie de préserver le confort que leur procure une vie sans engagement politique quel qu'il soit. Je ne désespère pas complètement qu'un jour les gens qui ne s'informent pas, ou si peu, se décident à ouvrir un journal, et puis à en ouvrir un ou ou deux autres pour vérifier qu'on ne leur a pas raconté des conneries dans le premier. Et qu'ils soient indignés. Par le passage de l'état d'urgence dans le droit commun et les dérives que ça entraîne, par la loi sur le secret des affaires et les dérives que ça entraîne, par les paradise papers, par le recours aux ordonnances, par le sabotage des prudhommes et du code du travail, par l'appauvrissement des écoles, des hôpitaux, des EHPADs, par la loi ORE, par la loi asile et immigration, par le CETA, par la façon dont on traite les migrants, les étudiants, les cheminots, les manifestants, par les CRS dans les facs, par la suppression de l'ISF, par les cadeaux faits aux entreprises sans demander de contrepartie alors qu'on appauvrit dans le même temps les fonctionnaires, les retraités, les gens qui touchent les APL, par la censure dans les médias, par le projet de vendre les HLM, par l'ouverture aux fonds de pension... Et j'en passe. Et que les gens indignés par ces informations arriveront à se convaincre qu'il est préférable de faire savoir leur indignation que de la taire faute de pouvoir agir sur ses causes. Il faut juste être patient. Et, si on est déjà convaincu(e) de la nécessité de se réunir pour agir, commencer soi-même par informer les autres, patiemment, de la raison pour laquelle on est indigné, de ce qu'on fait pour agir sur ce qui nous indigne, et de la nécessité qu'ils en fassent autant, car l'union fait la force.
Merci de m'avoir lue si vous êtes arrivé(e) jusque là, et bonne journée à tous !
Je me souviens très bien de ce jour, en début d'année, où je suis arrivée chez ma psy pour lui dire que ça n'allait pas du tout depuis quelques jours, plus exactement depuis que j'avais appris qu'il y allait y avoir la réforme du lycée et du bac. Que j'avais un sentiment à la limite du sentiment de persécution. Que les sentiments d'injustice et d'impuissance qui m'assaillaient étaient à la limite du supportable.
Ca fait des années que je suis prof et des années que je constate dans quel sens vont les réformes. Je vois les suppressions de postes, de classes, la baisse du personnel toujours plus débordé (infirmières - oui ce sont toujours des femmes -, assistants d'éducation, CPE, personnel de cantine...), etc, etc. Je ne vais pas rentrer dans tous les détails mais sachez que depuis trois ans que je suis prof en lycée, je passe plusieurs mercredi après-midi par an à aller crier devant le rectorat avec des collègues pour réclamer qu'on ne ferme pas une classe ou qu'on nous donne une infirmière (une seule) pour nos 1000 élèves ou encore qu'on nous donne du personnel en plus pour la cantine histoire que les mômes puissent manger pendant leur heure de déjeuner au lieu de seulement faire la queue avant d'aller direct en cours parce qu'ils n'ont pas eu le temps d'atteindre la bouffe (véridique). Très souvent, on y croise d'autres bahuts qui font comme nous. Vous trouvez ça normal ? Moi pas.
Sachez que cela fait dix ans que j'enseigne et que pourtant ma note pédagogique n'a pas augmenté, alors que ma dernière inspection s'est très bien passée. Pourquoi ? Parce que monter ma note pédagogique serait revenu à booster mon avancement sur la grille des salaires et que ça, ça coûte trop d'argent et que donc ça fait un moment que ça se fait un minimum. Et vous savez combien de temps j'ai attendu mon rapport d'inspection ? Deux ans. Oui oui vous avez bien lu : deux ans. Et pendant ces deux années j'ai réalisé que j'avais eu de la chance : avoir vu ma note stagner ne faisait pas de moi une paria mais au contraire une privilégiée vu que tous mes potes ayant été comme moi inspectés pour la première fois depuis leur concours avaient vu leur note carrément baisser. Baisser !! Je vous explique : la note pédagogique avec laquelle tu commences ta carrière est définie par ta note au concours, donc ceux qui ont brillé au CAPES ou à l'Agrégation ont au départ une meilleure note que ceux qui ont obtenu des résultats moyens. Plus tard, quand tu es inspecté(e) dans ta classe en tant que prof pour la première fois, on augmente ta note plus ou moins selon ta performance. Eh bien non seulement ces dernières années on inspectait les profs de moins en moins et on leur donnait à cette occasion un minimum de points supplémentaires (tout ça pour faire des économies, vous l'aurez compris), mais en plus on s'est mis à rétrograder les jeunes profs ! Les arguments donnés à mes collègues rétrogradés ? La note qui leur avait été donnée après le concours était trop élevée. Alors ça sert à quoi de briller au concours ?? Vous imaginez le truc ? Tu passes ton concours, tu bosses super dur pendant cinq-six ans, puis un jour quelqu'un vient dans ta classe une heure et te dit que, vu que c'était pas parfait, non seulement on ne va pas faciliter ton avancement professionnel mais on va le ralentir ? Bonjour la reconnaissance pour tout le travail fourni... Avec le gel du point d'indice, la CSG qui fait baisser nos salaires, notre avancement très ralenti, et le boulot qui devient de plus en plus difficile notamment parce que les écoles manquent de personnel, ça commence à faire beaucoup.
Bref, les agents de la fonction publique (profs, infirmiers, cheminots, et autres) sont face à cette situation qui mène si souvent au burn out : 1) ils ont un réel désir de bien faire leur travail mais sont mis en échec par des conditions de travail dégradées et en souffrent (pensez par exemple à toutes ces infirmières qui voudraient être plus présentes auprès de leurs malades...) 2) il y a un profond déséquilibre entre les efforts fournis et la reconnaissance obtenue de la part de l’employeur ou du supérieur immédiat (salaire, estime, respect, etc.). Les agents de la fonction publique ne sont pas les seuls, bien sûr, et c'est important de le noter : les travailleurs dans le privé prennent hyper cher aussi, et depuis plus longtemps car c'est évidemment dans le privé qu'a commencé cette vague de précarisation généralisée qui a depuis atteint le public.
Mais revenons à mon rendez-vous chez le psy : il y a eu une semaine où la situation politique a fini par réellement me miner psychologiquement. (Et je parle de la situation politique car j'ai beau insister sur l'école parce que j'y travaille, je suis de très près la politique mise en place par Macron, de même que j'ai suivi celle de ses prédécesseurs, et je suis écoeurée par bien plus que simplement les réformes qui touchent l'école). Cette semaine là, donc, j'ai eu un sentiment de ras-le-bol, de dégoût, d'injustice, de désespoir difficile à étouffer. Et j'ai parlé à ma psy de ce sentiment insupportable d'impuissance qui m'animait quand je constatais l'inertie invraisemblable des gens autour de moi, leur résignation. On a décidé ensemble, ma psy et moi, que je devais agir pour balayer le sentiment d'impuissance et, sait-on jamais, obtenir des résultats au passage.
Alors déjà, pour commencer, je me suis mise à essayer de sensibiliser mes proches aux problèmes qui me semblaient importants via Facebook. Entre autres, j'ai publié ce très long message que je vous invite à lire si jamais vous êtes un peu à la ramasse sur Parcoursup et la réforme du bac :
"Pourquoi nous sommes en grève le 22 mars (et je ne parle que de ce qui ne va pas dans l'Education Nationale, sachant que clairement ça va mal dans les autres services publics, qui sont eux aussi appauvris depuis des années et ne marchent plus que cahin-caha grâce à la bonne volonté de leurs agents) (A ce propos, Emma s'est d'ailleurs chargée de parler du statut des cheminots, merci mille fois à elle. Moi je vais tenter d'expliquer ce qu'il se passe à l'école - même si bon, il va sans dire que mon audience est moindre, c'est le moins qu'on puisse dire).
Il y a de plus en plus d'élèves dans le secondaire (à cause du boom démographique, comme je l'expliquais dans un précédent post, le nombre d'élèves dans mon lycée est passé de 750 à 1200 en cinq ans). Ces nouveaux élèves ont besoin de professeurs pour leur faire cours. Or, le gouvernement supprime des postes en masse depuis des années, et ça s'accélère. Qu'est ce que ça veut dire ? Ca veut dire qu'il y a de moins en moins de profs et que les classes sont de plus en plus surchargées, d'une part, mais surtout que pour pallier la pénurie de fonctionnaires qu'il a volontairement créée, le gouvernement, en plus de nous faire crouler sous les heures sup', recrute des contractuels : des gens recrutés chez Pôle Emploi, qui n'ont pas forcément une formation adéquate pour enseigner la matière qu'ils viennent enseigner et n'ont pas été formés pour ça. Ca entraîne que 1) les profs devant les élèves sont moins formés et potentiellement (même si évidemment ça ne va pas forcément ensemble) moins compétents et que 2) il y a un nombre grandissant de profs mal payés, facilement virables et qui n'osent pas manifester pour se plaindre de leurs mauvaises conditions de travail parce qu'ils ont peur pour leur emploi. Car c'est l'idée : remplacer petit à petit les profs fonctionnaires, certes formés mais pas pratiques parce qu'ils sont trop protégés par leur statut de fonctionnaires, par des contractuels précaires, mal payés, dont on fera ce qu'on veut. Nos représentants syndicaux nous ont donné hier des chiffres qui font frémir : notre lycée à lui tout seul a demandé l'ouverture de pas moins de 15 postes (occupés actuellement par des contractuels) pour la rentrée prochaine, or, le rectorat a décidé de nous en donner... un. Et c'est pareil dans tous les bahuts du Val de Marne, voire pire. Car - un chiffre qui résume bien - le poste qu'on nous donne fait partie des HUIT postes seulement créés dans le Val de Marne pour la rentrée prochaine, en collèges et lycées, toutes matières confondues. Huit.
On manque aussi de CPE (2 CPEs pour 1200 élèves, je vous laisse faire le calcul), de surveillants, d'agents de cantine (nos élèves font parfois la queue trois quart d'heures alors qu'ils ont une heure pour manger, on a gueulé comme des fous pour avoir du personnel en plus, on a fait grève et perdu de l'argent pour ça, les mômes ont fait un blocus... et rien, niet, zéro). Bref, le temps n'est pas à la création de nouveaux fonctionnaires.
Pour les Terminale de cette année, tous les profs sont largués : ils sont censés les préparer pour Parcoursup mais personne ne comprend rien, tout est fait à la va-vite, les infos ne circulent pas, c'est un bordel innommable, et qui va payer les pots cassés de cette réforme imposée avant même d'avoir été votée, ce qui rappelons le est tout bonnement illégal ? Nos élèves.
La réforme du lycée, derrière tous les beaux discours, revient à un truc assez simple : faire des économies en supprimant le nombre d'heures de cours des élèves (car dans les faits, les élèves auront moins d'heures de cours)(C'était d'ailleurs pareil pour la réforme du collège). Ca veut dire que des postes vont sauter : les profs de SES et de philo sont par exemple particulièrement visés car ils auront beaucoup moins d'heures de cours qu'avant. Ils deviennent quoi ? S'ils sont titulaires d'un poste fixe dans un établissement mais que l'établissement n'a plus assez d'heures de cours à leur faire faire dans leur matière, ils font quoi ? La réponse peut se trouver dans les nouvelles matières inventées qui seront enseignées dès l'année prochaine et dont les intitulés ne correspondent à aucun concours. Car si aucun concours spécifique ne correspond à leur enseignement, alors un peu tout le monde peut les enseigner, non ? Pratique, ça, les nouvelles matières qu'on peut refiler à n'importe qui, pas comme ces matières d'avant comme les maths ou l'histoire auxquelles correspondaient un CAPES ou une agrégation précise ! Ils pourront aussi faire de "l'orientation". Oui parce que les conseillers d'orientation c'est fini, maintenant c'est les profs qui le font et on va devoir en faire 2h par semaine (qu'est ce que tu racontes aux élèves deux heures par semaine à propos de l'orientation, c'est une grande question. Tu les emmènes visiter des entreprises, j'imagine).
Le bac, précédemment national et anonyme, ne le sera plus. Encore aujourd'hui, les terminale passent dans leurs filières des épreuves qui sont les mêmes pour tous les terminale de France, et leurs copies anonymes sont notées d'après des grilles de notation et des fiches de correction très précises qui sont les mêmes à travers tout le pays. Dès 2020, les élèves passeront un nouveau bac, dont 40% sera noté en contrôle continu, dans leur établissement. Ca veut dire que dès 2020, tous les bacs ne se vaudront plus, car leur valeur dépendra de l'endroit où ils auront été obtenus. (Ce qui facilitera la sélection à l'université, sélection mise en place avant toute chose pour faire des économies, ça on a tous bien compris) (et à ce propos j'espère que tout le monde a également bien compris que la sélection à l'université allait forcément entraîner une augmentation des frais d'inscription, tout en ouvrant des marchés au privé qui récupèrera tous les élèves qui n'auront pas eu de place à la fac : jackpot).
Autre problème : les épreuves du bac seront désormais organisées dans les lycées, par les profs, pendant l'année scolaire, ce qui leur enlèvera du temps sur leurs heures d'enseignement déjà tronquées, car organiser des épreuves, ça prend un temps fou. On peut vous le dire, on organise un bac blanc en février tous les ans, qui nous fait perdre une semaine de cours (même si évidemment ça n'est pas du temps perdu, c'est important de préparer le bac blanc) et nous oblige à prendre beaucoup d'heures pour préparer les sujets, les corrections, nous organiser. Mettre en place le contrôle continu au bac, c'est obliger les profs à organiser plus d'épreuves en cours d'année, et ce sur les trois années de lycée (car c'est ça qui s'organise), ce qui fera qu'il seront encore moins devant les élèves et que quand ils le seront, ce sera davantage pour préparer les élèves à l'épreuve à venir, ce qui réduit leur liberté pédagogique et leur temps réel d'enseignement du contenu (mais le contenu pédagogique est clairement le cadet des soucis de ceux qui veulent cette réforme). (Ca revient aussi à ne plus payer aucun prof pour la correction des milliers de copies de bac qui se fait aujourd'hui en juillet et était jusqu'à aujourd'hui rémunérée. Un détail qui prouve simplement qu'encore une fois, tout est organisé pour gratter du pognon partout. Savez vous que le budget de mon lycée est si ric-rac que je n'ai droit qu'à 4 feutres par an, un noir un vert un rouge un bleu, et que l'intendance le note dans un cahier dès que je demande une cartouche neuve pour ces feutres ?).
Je pourrai ajouter beaucoup de choses, mais je trouve que c'est déjà pas mal, et puis j'attends d'avoir des chiffres précis pour ne pas parler dans le vide, ce qui est difficile car il faut vraiment faire des recherches poussées pour comprendre réellement ce qui est en train de se passer, or là j'ai des copies à corriger et des bulletins à remplir par dessus la tête (d'ailleurs je ne devrais même pas être en train d'écrire ce post), donc j'ai pas le temps.
En tout cas j'espère vous avoir un peu éclairés, car je me rends compte quand je parle aux gens autour de moi qui ne sont pas profs que personne n'a la moindre idée de ce qui se passe. Ils ont vaguement entendu parler de Parcoursup, mais c'est tout. Mais l'école nous concerne tous : pas seulement moi parce que je suis prof, pas seulement certains d'entre vous parce qu'ils ont des mômes, pas seulement mes élèves parce qu'ils sont élèves. Et si jamais vous tentez de vous informer en écoutant Blanquer à la télé eh ben c'est triste à dire mais ce n'est pas là que vous aurez les infos. Parce que c'est de la com', du vent. Ils vous diront le nombre de postes qu'ils créent, par exemple, sans vous dire combien ils en suppriment à côté ni combien il en faudrait vraiment (et la réponse est beaucoup, beaucoup plus). Du coup s'il vous plaît, si jamais vous voulez vous faire une idée et en parler, interrogez comme l'a fait Emma ceux qui sont sur le terrain et savent vraiment ce qui va changer dans leur métier au jour le jour et ce que ça implique. Ne faites pas comme un copain qui, il y a quelques années déjà, m'a dit "Tu es contre la réforme du collège ? Mais je ne comprends pas, la ministre a dit que c'était une réforme pour que les élèves réussissent mieux au collège, non ? Tu es contre le fait que les élèves réussissent mieux au collège ?"
Mais la plupart des mes amis Facebook ne l'ont pas lu. (Et j'imagine que beaucoup de mes lecteurs ici ont déjà décroché parce qu'ils en ont marre que je parle de tout ça, ils préfèreraient quand j'écrivais des trucs plus légers et plus fun - et je les comprends, hein). Ou du moins, pour ceux qui l'ont lu, ont peu réagi. Je sais bien qu'il n'y a pas forcément grand chose à dire, mais j'avoue que c'est parfois difficile d'avoir le sentiment de prêcher dans le désert.
J'ai publié beaucoup de statuts Facebook assez engagés, avec des chiffres, des infos, sur les réformes, sur les manifs à venir... j'ai eu peu de retour. Et pas parce que les gens avec qui je suis amie sur Facebook n'étaient pas actifs sur le site à ce moment-là, parce que j'ai eu amplement l'occasion de constater que tout en ignorant superbement mes statuts, ils likaient copieusement des vidéos de chats et autres photos de vacances...
C'est dur de tenter de s'engager parce qu'une fois qu'on a décidé de se bouger le cul, on se rend compte que la première chose à faire c'est de convaincre d'autres personnes d'en faire autant, et c'est là que le bas blesse. Parce que comme je le disais, les gens autour de moi, même quand ils sont au courant des réformes et les condamnent, ne font rien. Exemples de ce qu'on a pu me dire : "Mais ça ne sert à rien de faire grève, quand on fait grève on leur donne juste de la thune vu qu'ils ne nous payent pas et ignorent nos revendications de toute façon", ou "Je ne vais pas à la manif, y'aura personne". Mais évidemment qu'il n'y aura personne si tout le monde se dit ça !!! Evidemment que les manifs n'ont aucun poids si personne ne vient !!! Putain mais réveillez vous, les gens !!!
On m'a dit "Non je ne me suis pas renseigné sur les réformes, j'ai arrêté de lire les journaux, tu devrais en faire autant, tu te fais du mal". C'est ce que j'ai beaucoup entendu ces derniers mois où j'ai essayé de m'engager : "Ca ne sert à rien" et "Tu te fais du mal". En gros, donc, on m'a dit de renoncer. D'arrêter d'être indignée et de tenter de changer les choses. On m'a dit de me concentrer sur moi, d'arrêter d'essayer d'informer les gens, d'arrêter d'aller dans des AGs, d'arrêter d'aller tracter, d'arrêter de lire les journaux pour essayer de comprendre vraiment toutes les politiques du gouvernement, mais plutôt de passer le week-end tranquille à regarder des séries avec mon mec. Résumons : s'occuper de politique ne sert à rien vu qu'on n'a la main sur rien et qu'on sera toujours ignorés et donc tout ce que tu fais en lisant les journaux, en faisant grève et en allant en manif c'est te faire du mal pour rien. Comme si je décidais moi-même de me jeter la tête la première contre un mur et que mes proches me conseillaient d'arrêter et de laisser tomber parce que qu'ils savaient que je ne ferais jamais mal au mur et que tout ce que j'arriverais à faire, c'est me blesser. Et je me suis blessée, oui. Ils ont raison. Mais ce qui m'a blessée le plus directement, je crois, c'est eux.
Un bref historique de mon "engagement politique" :
J'ai voté très tard parce qu'après mes 18 ans je ne me sentais pas légitime à voter, et je préférais laisser ça à ceux qui y comprenaient quelque chose. Je partais du principe que les autres savaient mieux que moi. J'ai commencé à lire les journaux très tard, aussi, parce que j'ai longtemps pensé que c'était tellement compliqué que je n'arriverais jamais à tout comprendre, à rattraper mon retard informatif. Mais j'ai fini par m'y mettre et c'est vrai que depuis, il m'est difficile de comprendre ceux qui font comme moi il n'y a pas si longtemps et laissent le monde se faire sans eux. Il m'est difficile d'accepter que certains de mes proches, que j'aime, ne "s'informent" que grâce à BFMTV ou au Petit Journal. Il m'est difficile à accepter qu'une amie à moi me dise que ce n'est pas normal que les cheminots touchent encore la prime charbon et que donc elle soutient la réforme de leur statut quand je sais que la prime charbon a été supprimée dans les années 70 et que quiconque s'informe un minimum et lit autre chose que la propagande minable du gouvernement sait que le seul et unique but de la réforme de la SNCF est de précariser le statut des cheminots et d'ouvrir la SNCF à la privatisation. Il m'est difficile à accepter que tant de mes collègues et ami(e)s refusent de faire grève parce qu'ils ne veulent pas perdre d'argent (putain mais qui n'a pas 100 euros à sacrifier pour ses idéaux ???), et ne viennent même pas manifester les jours fériés ou le samedi après-midi parce qu'ils préfèrent aller pique-niquer au parc. Le Canard Enchaîné disait qu'Edouard Philippe comptait sur les égoïsmes individuels pour tuer le mouvement de contestation sociale et Edouard Philippe a en effet bien raison de compter dessus : force est de constater qu'à de rares exceptions près, tous mes amis préfèrent regarder des séries et partir en week-end en amoureux plutôt que de s'informer et de prendre quelques heures par-ci par-là pour tenter de faire barrage à un projet de société dégueulasse. Je sais que ça coûte cher de faire grève et que c'est plus facile pour certains, bien sûr, mais il faut voir the bigger picture : tu perds de l'argent aujourd'hui pour que toi et tes pairs ne vous fassiez pas complètement entuber le reste de votre vie, moi ça semble plutôt réglo comme deal. Ca peut ne pas marcher, certes. Mais vous savez ce qu'on dit : 100% des gagnants ont tenté leur chance.
Enormément de profs se plaignent de ce que les syndicats ne sont pas assez combatifs et que les grèves sont éparpillées, et donc n'en font aucune. Ca n'a aucun sens. Le mouvement de contestation est trop mou alors je ne le rejoins pas ? Les actions sont trop rares donc je ne les soutiens pas ? Putain mais qu'ils aient au moins le courage de dire qu'ils ont simplement la flemme d'aller manifester et qu'ils préfèrent garder leurs 60 euros pour se payer un escape game ! Enormément de profs sont surtout complètement désinformés. Ils ne se posent même pas la question de savoir si aller en manif fonctionnent parce qu'ils ne savent même pas qu'il y a des manifs. Tant de gens sont complètement dépolitisés et ne savent de ce qu'il se passe dans le monde que ce qu'ils entendent au journal de 20h, et encore. J'ai une amie qui ne savait même pas qui était François Ruffin, et un collègue qui ne savait même pas qui était Vidal...
Ca me rappelle ce jour où j'ai publié un statut Facebook dans lequel j'informais les gens sur les CP à 12. En effet, alors que le gouvernement faisait une com' d'enfer sur la mise en place de classes de CP à 12 élèves seulement dans les établissements REP+, je tentais d'informer que le revers de la médaille était que les profs supplémentaires pour assurer ces cours à petits effectifs n'étaient pas créés mais retirés aux autres écoles n'étant pas classées REP+, voire dans les autres classes des écoles classées REP+, où la situation allait donc encore se dégrader, et qu'il s'agissait donc de déshabiller Pierre pour habiller Paul (et de faire une méga pub sur les nouvelles fringues de Paul tout en balayant Pierre sous le tapis). Une amie a commenté en disant : "Hein ?? Et ça passe comme ça sans que personne ne dise rien, ce genre de choses ???". Ben oui. Et j'ai eu envie de lui dire que ça passait notamment à cause de gens comme elle, qui ne s'informaient pas et donc permettaient au gouvernement de passer ce genre de mesures sans aucun problème. Je ne l'ai pas fait parce que ça aurait été injuste, d'une part, et puis parce que ça ne sert à rien d'agresser les gens, et qu'ils réagissent très mal à la culpabilisation. Je l'ai beaucoup entendu dernièrement, et je le sais : les gens n'ont pas envie de se confronter à la violence du monde en rentrant du boulot, ils ont envie de se détendre, de se divertir, et ils ont un droit inaliénable à ce moment de réconfort et nul n'a le droit de le leur retirer. Et je suis d'accord avec ça, évidemment. Mais il doit bien y avoir un juste milieu. Vous vous rendez bien compte que si plus personne ne s'informe, si plus personne n'est politisé, si la majorité de la population se contente de gober ce que lui raconte BFMTV sans se poser de question avant de passer à autre chose, alors la démocratie est en danger ?
Dans une vidéo que j'ai regardée récemment, une étudiante interviewée disait "Avant, j'étais apolitique... donc de droite". Etre apolitique aujourd'hui, c'est effectivement être de droite, car cela revient à ne pas se mobiliser contre "Macron et son monde" et tout ce qu'il a de dégueulasse. Quand Nicolas Demorand dit sur France Inter que la plupart des Français soutiennent Macron, je pense très sincèrement comme Ruffin qu'il a tort et que, comme Ruffin le dit, c'est simplement que la plupart des gens qui ne soutiennent pas Macron ne l'expriment pas, parce qu'ils pensent que ça ne sert à rien, qu'ils ne peuvent rien. J'ajouterais que pire, beaucoup de gens soutiennent Macron indirectement en ne se renseignant pas du tout sur ce qu'il fait pour vérifier s'ils sont d'accord avec sa politique, ce qui revient à lui donner carte blanche par paresse. Il y a évidemment des gens qui savent exactement ce qu'il fait et le soutiennent quand même, mais n'oublions pas que seuls 18% de la population inscrite sur les listes électorales a voté Macron au premier tour, et encore beaucoup de ces gens là ont voté pour lui par calcul, comme mon père, parce qu'ils pensaient que seul lui avait une chance contre Fillon ou Marine Le Pen. Au 2ème tour, ce ne sont que 43% des inscrits, même pas la moitié, qui ont voté pour lui, et ils sont très nombreux comme moi à l'avoir fait parce qu'ils n'avaient vraiment pas le choix. Pareil aux législatives : ce ne sont que 16% des inscrits qui ont voté pour la République en Marche. Moi je dis que ça devrait le pousser à l'humilité, pas à l'autorité. Or, le mépris qu'il affiche pour les gens, nombreux, qui s'opposent à sa politique est sans détour.
J'ai perdu beaucoup d'argent ces derniers mois parce que j'ai fait toutes les manifs. TOUTES. Pas une, pas deux : toutes celles auxquelles j'étais appelée pour dénoncer la casse des services publics généralisée et la libéralisation éhontée de notre économie. Parce que je me serais sentie vraiment trop nulle, trop merdeuse, trop minable, de ne pas agir quand j'en avais l'occasion, de ne pas aller gueuler, brandir ma banderole et parler aux journalistes dès que c'était possible. Parce que je ne veux pas qu'on puisse dire que le mouvement s'épuise, que les contestataires renoncent, ou du moins si on l'entend dans les médias je veux pouvoir me regarder dans la glace le matin et me dire que ce n'est pas à cause de moi qu'ils le disent. Je veux être là auprès de mes collègues qui s'impliquent, parce que je refuse d'être de ceux qui laissent les autres manifester à leur place. Je me sens coupable de louper des cours, mais je me sentirais encore plus coupable de ne pas manifester, parce que ça me semble beaucoup plus important que quelques cours loupés. Parce que je refuse de croire, comme tous ces gens, qu'on ne peut rien contre le gouvernement - qui pourtant est censé nous représenter ! - et contre le système libéral qui s'est installé, lentement mais sûrement, ces dernières décennies. C'est le fameux "There is no other alternative" de Thatcher que tout le monde accepte parce que 1) on le leur a tellement répété, sans donner la parole aux voix dissidentes, qu'ils ont fini par y croire comme à une vérité scientifique, et que 2) ça les autorise à ne rien faire sans trop culpabiliser.
"Un discours nous est imposé comme étant le seul possible : plus de revenus pour les multinationales, plus de dividendes pour les actionnaires, moins de fond pour les services publics, et moins de droits pour les travailleurs." (Alain Deneault, philosophe)
Quand les gens disent qu'on ne peut rien contre le capitalisme sauvage et le libéralisme mondialisé, ça me fait toujours penser aux Raisins de la Colère. Une citation du bouquin : "Il se trouve que chaque homme hait ce que la banque fait, et cependant la banque le fait. La banque est plus que les hommes, je vous le dis. C'est le monstre. C'est les hommes qui l'ont créé, mais ils sont incapables de le diriger." (Un très beau livre. Je vous le conseille). Une autre citation parlante : "La terre s'accumulait dans un nombre de mains de plus en plus restreint ; l'immense foule des expropriés allait grandissant et tous les efforts des propriétaires tendaient à accentuer la répression. Afin de protéger les grandes propriétés foncières on gaspillait de l'argent pour acheter des armes, on chargeait des indicateurs de repérer les moindres velléités de révolte, de façon que toute tentative de soulèvement pût être étouffée dans l'oeuf. On ne souciait pas de l'évolution de l'économique, on refusait de s'intéresser aux projets de réforme. On ne songeait qu'au moyen d'abattre la révolte, tout en laissant se perpétuer les causes de mécontentements." Envoyer les CRS dans les facs, intimider les "agitateurs" comme Gaël Quirante, gazer les gens en manif, ne parler que des "casseurs" et passer sous silence le plus possible les revendications des manifestants, les discréditer dès qu'on en a l'occasion (les profs sont rétrogrades et refusent tout changement, les cheminots "prennent le pays en otage" pour s'accrocher à leurs petits privilèges illégitimes, etc.), donner beaucoup plus la parole à leur détracteurs... c'est le moyen du gouvernement et de trop de médias pour lutter contre le mécontentement croissant d'une partie non négligeable de la population.
Mais n'oublions pas que dans ce bouquin il y a d'autres citations comme par exemple celle-ci : "La seule chose qu'il faut voir, c'est que chaque fois qu'il y a un pas de fait en avant, il se peut que ça recule un brin, mais jamais d'autant. Ca montre qu'il n'y a rien de gaspillé, en fin de compte, malgré que des fois on pourrait croire le contraire." C'est ce que me disait un collègue l'autre jour : que même si on arrive à ne faire retirer aucune loi (et on sait que c'est possible : regardez la loi travail), on n'aura pas tout perdu parce qu'on se sera rencontrés, déjà, nous les enseignants, étudiants et parents d'élèves informés et désireux de faire bouger les choses, et on aura appris. Parce qu'on tâtonne mais on aura appris comment on fait pour organiser des AGs, essayer d'informer et de mobiliser les gens (par des tracts, des articles dans la presse, des événements voyants comme des nuits des écoles), comment on fait pour bosser avec les syndicats, comment on fait pour réunir du monde et le faire savoir. Et ça, ça n'est pas perdu. C'est comme le vélo : c'est quelque chose qui ne s'oublie pas. Et on a appris aussi qu'on était nombreux à vouloir agir et à ne simplement pas savoir comment. Et pour ça, pour apprendre à s'unir et à s'organiser, il faut du temps. Et les gens endormis peuvent encore se réveiller si on arrive à les informer et à attiser leur indignation, une indignation plus forte que l'envie de préserver le confort que leur procure une vie sans engagement politique quel qu'il soit. Je ne désespère pas complètement qu'un jour les gens qui ne s'informent pas, ou si peu, se décident à ouvrir un journal, et puis à en ouvrir un ou ou deux autres pour vérifier qu'on ne leur a pas raconté des conneries dans le premier. Et qu'ils soient indignés. Par le passage de l'état d'urgence dans le droit commun et les dérives que ça entraîne, par la loi sur le secret des affaires et les dérives que ça entraîne, par les paradise papers, par le recours aux ordonnances, par le sabotage des prudhommes et du code du travail, par l'appauvrissement des écoles, des hôpitaux, des EHPADs, par la loi ORE, par la loi asile et immigration, par le CETA, par la façon dont on traite les migrants, les étudiants, les cheminots, les manifestants, par les CRS dans les facs, par la suppression de l'ISF, par les cadeaux faits aux entreprises sans demander de contrepartie alors qu'on appauvrit dans le même temps les fonctionnaires, les retraités, les gens qui touchent les APL, par la censure dans les médias, par le projet de vendre les HLM, par l'ouverture aux fonds de pension... Et j'en passe. Et que les gens indignés par ces informations arriveront à se convaincre qu'il est préférable de faire savoir leur indignation que de la taire faute de pouvoir agir sur ses causes. Il faut juste être patient. Et, si on est déjà convaincu(e) de la nécessité de se réunir pour agir, commencer soi-même par informer les autres, patiemment, de la raison pour laquelle on est indigné, de ce qu'on fait pour agir sur ce qui nous indigne, et de la nécessité qu'ils en fassent autant, car l'union fait la force.
Merci de m'avoir lue si vous êtes arrivé(e) jusque là, et bonne journée à tous !