vendredi 13 novembre 2020

Vis ma vie de retraitée 2

 

Confinement numéro 2. Retour en Bretagne, en bord de mer, à écouter les vagues et les oiseaux avec mon amoureux qui télétravaille. Je suis la dépressive la plus heureuse du monde. 

Du coup je recommence à jardiner, mais cette fois-ci avec une salopette de pêcheur en ciré jaune XL par dessus mes vêtements, parce qu'il pleut souvent, que le sol est mouillé, et aussi soyons honnête parce que c'est la classe et que ça amplifie indéniablement mon sex appeal.

Donc ma vie, en ce moment, c'est quoi ? (En dehors d'une vie sexuelle boostée par la salopette cirée, s'entend). Ben disons le tout de go, c'est woman versus wild, hein. Il m'arrive des trucs de dingue, quoi. Voyez seulement : 

- Je plante des violettes, des pervenches, des fougères, des liriopes... Voilà. Truc de dingue.

- En jardinant, j'ai été piquée par des moustiques. Méchamment piquée. Genre j'ai eu mal. Et je me suis retrouvée avec le cul constellé de piqûres rouges et boursouflées, parce que ce jour-là je n'avais pas ma salopette de pêcheur et que du coup quand je jardinais j'avais la raie du plombier. Oui, je suis au top de ma désirabilité. La raie du plombier, la salopette cirée, le cul boursouflé, tout ça. Sans compter les vieux joggings en polaire tâchés de vieilles trainées de peinture et les bottes en caoutchouc qui font puer des pieds. 
Oui parce que voyez vous quand je suis loin de Paris (où j'ai régulièrement des sursauts de je-suis-habillée-comme-une-pouilleuse-ça-ne-peut-plus-durer-il-faut-agir et où je fonce m'acheter des fringues certes d'occasion mais un peu trendy parce que je veux être une belle gosse bien sapée comme les autres), quand je suis loin de Paris donc, je me laisse souvent aller à mon amour inconditionnel pour le vêtement-serpillère, ce grand pull informe et tout pelucheux dans lequel tu peux t'emmitoufler, jardiner, dormir, aller à la boulangerie en charentaises, bref la vie quoi. 
Ici, en Bretagne, donc, je fais peu de crises de mocheté (oui, j'appelle ça "faire une crise de mocheté"), ce qui peut sembler paradoxal vu mon apparence, mais voilà : je vis avec trois joggings, quelques vieux pulls, des chaussures de rando, de la terre dans les cheveux, de la crème à la cortisone sur le cul pour calmer les démangeaisons, et je suis bien. (Et Thomas est toujours amoureux. Allez comprendre). 

 Meet the roitelet triple bandeau

- J'ai une nouvelle passion pour les oiseaux. Je les observe dans le jardin avec des jumelles et ensuite je me rue sur internet pour essayer de trouver ce que c'était comme oiseau, et ça me met dans un état d'euphorie et d'excitation assez surréel. Le plaisir de voir des petits roitelets à triple bandeaux dans l'arbre devant la fenêtre de la cuisine le matin en buvant mon café est étrangement intense. Faut dire que c'est suprêmement chou, un roitelet à triple bandeaux, avec ses 9cm et sa bande orange à la Capitaine Flamme sur la tête (en anglais, ça s'appelle un Firecrest ou Crête de Feu). 

Je me renseigne sur les oiseaux, donc, et j'apprends plein de trucs. Entre autre que bran veut dire corneille ou corvidé en breton, ou en gallois, et que c'est donc évidemment pour cette raison que Bran s'appelle Bran dans Game of Thrones. 
(Oui parce que je me renseigne un peu aussi sur le breton. Saviez vous que le car- de Cardiff avait la même racine que le ker de, euh, ker en breton ? Et que le plou de Plougastel et autres villes bretonnes était le plou de plouc (un plouc, au départ, c'est un paysan breton) et aussi le même plou que dans plough, qui veut dire charrue en anglais ? Je trouve ça passionnant. Mais bref, revenons-en aux oiseaux). 

J'ai aussi appris que les rouges-gorges, qui ont le plastron plutôt orange, s'appellent des rouges-gorges parce qu'ils ont été nommés au Moyen-Age, et que la couleur orange n'est apparue dans la langue française qu'au seizième siècle, avec l'arrivée des oranges douces ramenées de Ceylan et de Chine par les Portugais. 

Quoi d'autre ? Ah oui, la mésange charbonnière (j'en ai vu une ce matin, j'étais ravie) n'est pas seulement très jolie, elle est aussi le seul oiseau à utiliser des outils : elles utilisent des épines de pin pour chopper des larves. Ces petites malines. 
En Angleterre, dans les années 20, à Londres, à l'époque où ils déposaient encore des bouteilles de lait devant la porte des gens, les mésanges charbonnières ont même trouvé un moyen de décapsuler les bouteilles avec leur bec pour boire du lait, capacité qui s'est vite répandue dans tout le pays, si bien que les ornithologues ont parlé "d'apprentissage culturel". J'adore. L'intelligence animale, ça me fascine.
Bon, ensuite les mésanges charbonnières sont aussi capables d'aller trouver des chauve-souris qui hibernent tranquilou pour leur défoncer le crâne avec leur bec et bouffer leur cerveau, ce qui est moins mignon, je vous l'accorde. Mais bon. 
(C'est un peu comme pour Nala, cet être remarquable - oui - et d'une mignonnerie à toute épreuve, qui est par ailleurs capable de se bouloter des petites musaraignes inoffensives au petit museau à moustaches : c'est sûr que c'est perturbant. Ce n'est pourtant pas faute de lui avoir expliqué qu'il ne fallait pas tuer les animaux soi-même et qu'il serait beaucoup plus acceptable de sa part de faire buter les musaraignes à grande échelle par d'autres chats dans des abattoirs pour ensuite aller s'en procurer sous plastique : mais rien n'y fait, elle ne veut rien entendre). 
Et allez, un petit dernier pour la route : saviez vous qu'il y avait chez les mésanges charbonnières une sorte d'héritage des terres de génération en génération, avec des enfants qui restent nicher sur le territoire de leurs parents ? 
Par contre ça doit poser des problèmes d'organisation entre frères et soeurs. Pensez vous qu'il y a des notaires-mésanges-charbonnières ? Qu'ils ne refilent les territoires qu'aux aînés mâles ? Que les cadets doivent rentrer dans les ordres ? Je ne sais pas. Je vais essayer de trouver des réponses avec mes jumelles, je vous tiens au courant.

C'est marrant, je me souviens que jeune ado j'avais un peu de pitié pour ma grand mère : je me disais qu'elle devait vachement s'ennuyer à regarder des documentaires sur l'Antartique ou le Vanuatou toute la journée (alors qu'il ne tenait qu'à elle de regarder Sauvez par le Gong, pourtant : incompréhensible). Aujourd'hui, je suis ma grand-mère...

Bref, voilà pour les oiseaux. C'était mon petit quart d'heure Professeur Rollin. De rien. 


Il faut peut-être que je me lance un petit tumblr Professeur Rollin, où tous les jours je publierais une info du genre "ce sont les papas hippocampes qui portent les bébés" ou "les cachalots dorment debout". Je suis preneuse de toute anecdote "le saviez-vous?" en commentaire, à ce propos.

- Je continue mon retour à la terre. En fait je suis un peu Blaise dans Le Tracas de Blaise (voir illustration en début de post). Vous n'avez pas lu Le Tracas de Blaise ? C'est fabuleux. C'est un livre pour enfant. C'est l'histoire d'un homme qui vit une vie de merde au boulot et qui en réaction se change tous les jours un peu plus en ours avant d'aller se barrer vivre tranquilou dans la forêt. 
Je m'identifie vachement. 
(Même si je ne pourrai jamais plus vraiment revenir à l'état sauvage, rapport à l'épilation définitive, tout ça. Même que quand ce sera la mode et que toutes les parisiennes arboreront leurs jolis poils aux pattes en terrasse alors que j'aurai les jambes toutes glabres, eh ben je ferai des crises de mocheté, du coup). 
Il faut dire que j'ai une belle famille qui invite à ça (à revenir à la nature, je veux dire, pas à faire des crises de mocheté). 
C'est drôle comme on peut changer de vie en changeant de conjoint (à moins que ce ne soit moi qui n'aie pas de personnalité, ce qui est possible aussi) : avec Gentleman Joe j'allais à des spectacles de danse au Théâtre de la Ville et à des concerts de musique conceptuelle à Beaubourg ; avec Tom Pouce je vais aux champignons et aux châtaignes. Et je vais ramasser des pommes et des coings et des prunes dans le verger de sa grand-mère dans le fin fond du Perche, et je fais des compotes et des confitures à ne plus savoir qu'en faire. 
Sa grand mère, qui a grandi à la ferme dans les années 40, connaît les champignons par coeur et a régulièrement des lièvres morts dans son congélateur et des cuisses entières de sanglier dans son frigo (le tout apporté par les chasseurs du coin : elle en fait du pâté, ils en récupèrent une partie, c'est donnant donnant). Mon dieu, quand on y pense, cette petite dame si mignonne (j'adore la grand-mère de Thomas) qui dépèce des lièvres, c'est un peu comme Nala qui bouffe des musaraignes, en fait. 
Bref, tout ça pour dire que : je mange des trucs que j'ai cueillis ou ramassés, je fais sécher des feuilles de verveine citronnelle du jardin, tout ça, et certes ensuite je bois ma tisane maison devant Netflix ou Vinted, mais bon, avouez, c'est quand même un peu la symbiose avec la Pacha Mama, quoi. Je suis complètement devenue la-femme-qui-murmurait-à l'oreille-des-plantes. Genre je casse des branches et je les replante dans des pots, je les arrose, et ça fait de nouveaux plants : dingo, non ? Eh ouais, baby. Je multiplie les plantes comme d'autres multipliaient les pains. 

- Sinon, je dors. Je regarde des films. Je lis. Je fais l'autruche. J'essaye d'oublier qu'en vrai ça va pas. Parce que bon, en vrai, on ne va pas se mentir, ça ne va pas complètement bien. Mais bon, ça va de mieux en mieux. Vraiment. Et ça, si vous me passez l'expression, c'est assez top.