mardi 11 août 2020

Vis ma vie de retraitée

 "A quarante ans c'est pas qu'on a plus de passions. Non, non. C'est juste qu'elles ont changé, quoi. Moi par exemple j'adore les plaids" (Florence Foresti)



J'ai toujours su que j'étais une retraitée dans l'âme. Ca ne s'est pas arrangé avec l'âge, et mon arrêt longue maladie allié au confinement ont achevé de réveiller la retraitée qui sommeillait en moi. 
Car voilà : comme tous les pourris de privilégiés qui ont une maison de famille loin de la ville, j'ai quitté Paris dès l'annonce du confinement (qui devait prendre effet le lendemain à midi) et je suis partie avec Tom Pouce me terrer à Tara, où on n'a presque pas quitté le jardin pendant deux mois, comme si l'air de l'autre côté du portail était radioactif. 
Et c'est là qu'a commencé mon expérience de la retraite. 
Je savais déjà que j'aimais me coucher tôt et boire des tisanes, tout ça, et que j'avais un penchant coupable pour le jardinage, mais là, on est vraiment passés au level supérieur. 
J'avais déjà découvert Plantnet (une appli fantastique qui te donne immédiatement le nom de toutes les plantes que tu prends en photo) mais jamais je ne l'avais utilisé de façon aussi compulsive. J'ai littéralement passé des heures sur la pelouse de mon jardin à shazamer les mauvaises herbes. Maintenant je suis incollable en gaillet gratteron, géranium robert, fumeterre des murailles et autres plantains lancéolés. Je me suis même renseignée sur les recettes qu'on pouvait faire avec (la plupart de ces trucs se bouffent), au cas où il y aurait une subite pénurie alimentaire et où on finirait par se retrouver entre survivants à bouffer des racines. (Je venais de voir Dans la Forêt, j'étais en mode "effondrement", j'étais prête à toutes les éventualités). Eh bien permettez moi de vous apprendre que le plantain lancéolé donne un petit goût de champignon aux omelettes. Voilà. You heard it first. (Bayane, reporter toujours au coeur de l'action).
Le temps que je ne passais pas à étudier les plantes et les coléoptères comme un naturaliste du 19ème siècle en safari papillons, je le passais sur internet à me renseigner sur la bouture de lavande, le purin de prêle, la taille du lilas et les étapes de la vie du hanneton, notamment sur des groupes Facebook de jardinage où - grande violence des réseaux sociaux oblige - ça s'engueule ferme, à coup de multiples points d'exclamations véhéments (#ensauvagement), pour savoir si la plante sur la photo est une azalée ou une pivoine.  
J'ai aussi joué au TP de chimie de seconde en faisant des tests de sédimentation avec la terre, de l'eau et du vinaigre pour savoir si elle était plutôt sableuse, argileuse, acide ou calcaire. 
Bref c'était wild
Je peux devenue étrangement calée en jardinage, du coup. je sais nommer à peu près toutes les fleurs que je vois et je vous soigne une cloque du pêcher en moins de deux. Pas sûre que j'aurais utilisé ça comme atout séduction sur un profil Tinder mais bon, Tom est déjà amoureux (#astuce) et n'était pas réfractaire à ce retour à la nature, loin s'en faut.
Lui, pendant ce temps là, se laissait pousser les cheveux et la barbe à la Jeremiah Johnson (je pense qu'on aurait pu faire un petit remake convaincant de "Seul au monde" - avec moi dans le rôle du ballon) et, en chemise de bûcheron à carreaux rouge et noir, élaguait des arbres hauts comme la maison avant de les couper en bois de chauffage.
Bref, c'était l'amour est dans le jardin. 
 
 
Quand je n'étais pas au jardin ou sur internet à me renseigner sur la larve de cétoine ou la cloque du pêcher, je cousais des masques et des housses de coussin avec de vieilles nappes de ma grand mère en regardant Les petits meurtres d'Agatha Christie (même si franchement, ça ne vaut pas un bon vieil Hercule Poirot avec David Suchet) ou bien je faisais des mots croisés. 
Du coup, je me sentais un peu comme dans un centre de repos avec des ateliers poterie entre deux promenades dans le parc, mais honnêtement je vivais un peu ma meilleure vie. 
 
 
En même temps je n'ai jamais été à la pointe du rock'n'roll, hein.
Je me souviens de ce jour, lors d'un concert privé dans un bar, où Gigi m'a dit en riant que j'étais la fille la moins branchouille qu'elle connaisse. (Je venais de lui dire que le mec en mettait du temps, à s'accorder, quand même... alors que le concert avait commencé) (#oups). 
 
D'ailleurs, Facebook ne s'y est pas trompé et me proposait récemment d'aller assister au concert des Plates, un groupe qui se revendique peu rock'n'roll et dont le motto est "moins de bière, plus de tisane; moins de nuits blanches, plus de dimanche", bref, la famille quoi. 
 
(Pourtant il n'en a pas toujours été ainsi, je rentrais dans la vie avec des atouts certains pour la hype, comme le suggère cette conversation que j'ai eue ce matin-même avec Tom : 
Moi : Quand j'avais 12-13 ans j'étais fan d'Aerosmith et donc je demandais à mon frère de me dessiner leur symbole au bic sur l'épaule, et après chaque douche quand c'était parti je lui demandais de le refaire. Et j'avais toujours des craies sur moi que j'utilisais pour dessiner des marelles, parce qu'on jouait beaucoup à la marelle avec ma meilleure amie, mais c'est pas parce qu'on était petites et qu'on aimait jouer à la marelle comme des enfants, c'était (cherche mes mots) plus subversif, plus second degré, une sorte de célébration nostalgique, c'était...
Lui (finit ma phrase d'un air entendu) : C'était néo-punk.
Hahaha.
A moins que ça ne révèle que j'ai toujours été un peu à l'ouest parce qu'à 12 ans je pensais que jouer à la marelle c'était cool ? Le mystère reste entier).
 
Bon, sinon, autre passion que je me suis découverte (en dehors des plaids et du jardinage) (et de la jolie vaisselle, j'ai oublié la jolie vaisselle) (si si je vous jure) : je me suis mise à ... wait for it... faire de la généalogie. (#badasserie).

 

 
J'y ai passé des heures et des heures. 
J'ai déchiffré des infos, des noms, des dates, des adresses sur des archives scannées (des extraits de mariage, de naissance, des fichiers datant de la guerre expliquant où un soldat avait été envoyé au front ou bien où il avait été envoyé après avoir été blessé), je me sentais comme une petite détective, c'était absolument passionnant. 
Du coup je suis remontée jusqu'au 16ème siècle, où deux de mes ancêtres s'appelaient Barbe et Mougeotte. (Mougeotte, quoi. Tellement la classe). (Je pense que si j'ai une fille, Mougeotte sera son deuxième prénom) (Quand je vous disais qu'il ne fallait pas que je fasse d'enfant). 
J'ai aussi découvert que j'avais des arrière-arrière-grand-parents marchand et marchande de nouveautés en Mayenne (j'adore), des ancêtres domestiques au fin fond du Finistère au 17ème (ils ont dû avoir tellement froid - pauvres gens), mais aussi des oncles comtes et comtesses, dont une bonne partie ont fait fortune en Martinique au 18ème siècle (#oups bis). 
Déjà que je suis la seule personne que je connaisse à avoir eu des grand-parents pétainistes convaincus ayant carrément habité à Vichy pendant l'occupation, ça commence à bien faire...


 
Eh oui. La généalogie ne révèle pas que des choses glorieuses, mais aussi des choses tragiques, comme la mort d'un de mes ancêtres écrasés dans la fleur de l'âge par une armoire qu'il tentait de monter à l'étage. Avouez que c'est tout de même malheureux. 
 
Bref, avec toute cette convalescence coupée du monde qui s'effondrait, j'ai dû passer deux semaines à Paris en tout depuis début mars et en vrai je m'en porte extrêmement bien. Et je redoute terriblement le retour à la vraie vie (enfin c'est comme ça que j'appelle ma vie d'avant). Celle où il y a des gens, des voitures, des responsabilités, des échéances, des angoisses, et une pénurie crasse de plantain lancéolé. 

J'ai vécu toute ma vie à Paris, voyez vous, et j'ai toujours pensé que je ne supporterais pas de vivre ailleurs. (Il faut dire qu'après un mois et demi d'été loin de la ville, j'ai toujours ressenti ce grand besoin de revenir me faire un petit fix de pots d'échappement). L'effervescence, l'animation incessante, les opportunités, le sentiment d'être au coeur des choses, d'être là où ça se passe... Mais le fait est que, là maintenant tout de suite, ça ne me manque pas du tout. 
Du moins pas pour l'instant, pas dans l'état où je suis actuellement. Parce que le monde réel, je le trouve vachement hostile, quand même. (Pas vous ?). 
 
 
Du coup, pendant ce confinement-convalescence qui dure depuis des mois, je me laisse aller à mes penchants d'ermite comme jamais auparavant. Et j'aime ça. (Bon, ça en est au point où je renonce à aller acheter un rôti parce que ça revient à parler au boucher et que je préfère acheter des trucs en rayon (sous plastique)(oui) qui me permettent de ne parler à personne, mais bon). Et je me surprends à rêver à une vie dans laquelle j'entendrais les oiseaux et le vent le matin en me réveillant, après m'être endormie loin des lueurs et des bruits de la ville. Une vie où il y aurait plus d'herbe et moins de gens. Un fantasme que Lady V a du mal à concevoir...
Lady V : Ah tu pars en vacances au fin fond de la Bourgogne ? Cool. Il paraît que c'est très beau. Moi, je préfèrerais mourir, mais bon.
Et l'idée de me terrer quelque part pour peut-être écrire quelque chose, pas anonymement cette fois, me trotte dans la tête comme un doux rêve, même si je ne m'autorise pas encore vraiment à m'en croire capable. En attendant, donc, je recommence à peu à écrire sur ce blog, ce curieux mélange de posts avec des libellés comme celui qu'on me propose en ce moment-même à droite de mon écran : "Confucius et Barbie photographe sont dans un bateau" (hum... bien bien bien...). (En même temps il y en a bien qui ont fait fureur en chantant "Vive ma tante, vive la Nouvelle Zélande", donc bon).
 

Ca peut paraître étrange mais je n'ai qu'un vague souvenir de ce que contiennent les différents posts que j'ai rédigés ici. Je tombe parfois sur certains titres qui ne me disent absolument rien, et je pourrais sûrement relire le tout et être agréablement surprise (voire rire à mes propres blagues comme à celles de quelqu'un d'autre), mais j'ai un peu peur d'avoir honte aussi, comme quand j'ai feuilleté les "romans" que j'avais écrits au collège-lycée.
Oui parce que voyez vous, j'ai commencé à écrire à 11 ans. Je venais de lire le Journal d'Anne Franck, et, comme beaucoup de petites filles j'imagine, ça m'avait galvanisée. Il faut dire que j'aimais déjà écrire : en primaire, j'achetais des cahiers de vacances uniquement pour le plaisir d'avoir des sujets de rédaction et je me souviens avec émotion que mon maître de CM1 lisait toujours mes rédactions devant la classe (sans dire que c'était les miennes, mais moi je le savais, et ça me rendait folle de fierté - et complètement mégalo). A 12 ans déjà, je voulais écrire mon premier livre avant mes 18 ans pour être encore plus précoce que Françoise Sagan (qui a écrit Bonjour Tristesse - un de mes livres préférés à cet âge là, et pour cause, je n'en avais pas lu tant que ça - à 18 ans, ça m'impressionnait beaucoup).
Passé mes 16 ans, je n'avais toujours rien publié : j'avais un peu les boules. Je sentais que j'étais en train de louper un bon atout promo. (True story). 
Et puis c'est aussi l'âge où j'ai commencé à vraiment lire des livres, et au lieu de nourrir mon envie d'écrire, ça m'a un peu écrasée, parce que j'ai pensé que tout avait été écrit, et tellement mieux que je ne pourrais jamais le faire... Faut dire que c'était viser un peu haut, dès la puberté, de vouloir devenir Françoise Sagan ou Simone de Beauvoir.
 
 
 
Du coup, dès mes 18 ans, j'ai décidé de bouder, et après sept ans d'écriture intensive et passionnée, j'ai arrêté d'écrire. Complètement. (Jusqu'à ce blog).
 

Mais j'aimerais essayer d'écrire autre chose. Peut-être. Je ne sais pas. Faudrait que j'essaye. De me lancer. Et peut-être que j'arriverais à écrire un truc juste pas trop mal, et ce serait déjà un immense accomplissement et une immense fierté.


Donc voilà. 
Dans un film, je me mettrais à écrire (on me verrait pendant une longue minute taper à l'ordinateur dans toutes sortes de positions, habillée dans toutes sortes de vêtements, de jour comme de nuit, par temps de pluie et par beau temps - on verrait passer les saisons par la fenêtre pour montrer que j'y ai passé beaucoup de temps - et on me verrait jeter des boulettes de papier à la poubelle en soufflant, découragée et décoiffée, pour montrer que ça a été comme un accouchement) (on ne jette pas de boulettes de papier quand on accouche ?), puis il y aurait quelques rebondissements (on croirait pendant un moment que j'abandonne, ou que ce que j'écris est nul, ou que ça n'intéresse personne)(tout du long je serais pleine d'humilité et d'incertitudes), puis ce serait finalement un immense succès et je serais jeune et belle et épanouie et riche et célèbre (mais toujours humble) et on me verrait enceinte, souriante, emménager dans une magnifique maison loin de Paris avec l'homme de ma vie, et j'aurais mon propre bureau pour continuer sur ma lancée et écrire un deuxième bestseller, et on nous entendrait, nos voix de plus en plus étouffées, emménager en riant pendant que la caméra s'éloigne de la maison... 
 
Dans la vraie vie (celle avec le T-Rex au coin de la rue), je ne vous promets rien. 
 
Mais on peut toujours fantasmer.
 

 
Je vous tiens au courant. 


4 commentaires:

  1. "Brrrr je repense à mes soirées confinées, au rêve de sorties, de contacts humains, de samedis soirs, de fêtes et de rires. Heureusement tout ça est derrière moi et ce soir je peux lire un roman dans ma cuisine en surveillant mon bouillon" (Tweet de Pénélope Bagieu le 12 septembre 2020.
    (Team retraite Représente !)

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  2. Une pensée amicale depuis le grand océan d'internet. La poubelle de la maison a-t-elle vu passer quelques boulettes de papier depuis votre (ton ?) article ? :)

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    1. Oh, une lectrice inconnue, bonjour ! :-) Non, aucune boulette de papier, encore, malheureusement, parce que je suis une flemmarde timorée avec un syndrome de l'impostrice prononcé, mais j'y travaille... Et en attendant je passe enfin mon permis \o/

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  3. Je comprends :) Félicitations pour la préparation au permis - une initiative dont je mesure la valeur en tant que citadine de toujours et non détentrice !

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